8 Novembre 2016
J’écris ces lignes en supposant qu’Hillary Clinton
sera élue présidente le 8 novembre 2016. Il y a au moins deux raisons pour
célébrer cette victoire : après un homme noir et 53 hommes blancs, la première
puissance du monde aura choisi de mettre une femme à sa tête, une
« commandeure en chef », dit-on dans le jargon américain. Et, aussi,
il y a le fait que, de justesse, les États-Unis auront failli laisser leurs
rênes à un démagogue égocentrique inculte. Entre l’importance de ce pas
monumental vers un monde plus juste pour les femmes et ce soulagement d’un
futur épargné de la réalité des codes nucléaires américains se trouvant sous le
diktat d’une star de TV réalité, il existe pour certains un curieux sentiment
d’une revanche avortée ou renvoyée pour question de santé planétaire. Ce
sentiment est certainement haïtien, et sûrement d’une manière générale
tiers-mondiste. C’est cette dangereuse envie que ne pouvaient étouffer des
cœurs patriotes meurtris par l’ingérence américaine. Ce souhait que les
États-Unis goûtent enfin à cette soupe au démagogue qu’ils nous
ont si souvent fait ingurgiter, est enivrant. Trump est en fait le président
que les États-Unis ont imposé à tant de pays, mais qu’il n’a lui-même jamais
eu.
Pour Haïti, citons quelques-uns de ceux imposés, créés ou ménagés par les
USA : Dartiguenave, Borno, Lescot, F. Duvalier, J C Duvalier, Aristide,
Martelly… Les Dominicains diraient Trujillo ; les Cubains, Batista ;
les Chiliens, Pinochet ; les Philippins, Marcos ; les Nicaraguayens,
Somoza… La liste pourrait bien continuer sur deux autres pages. Que cela soit
fait via leur support militaire ou financier à un régime autoritaire, souvent
sanguinaire, leur influence dans un processus électoral de pays libres, ou tout
simplement l’ingérence dans les affaires de nations dites souveraines, les
États-Unis ont souvent bafoué les règles démocratiques qu’ils veulent pourtant
partout imposer. Les E.U., dans ce jeu, nous ont donné les plus abjects des
leaders, des pantins, des nigauds sans scrupule, et des personnages incultes.
Donald Trump est ce démagogue que les États-Unis ont imposé à tant
d’autres. Il est ce président qui se croit infaillible. Ce spécimen s’entourant
toujours de conseillers spécialistes en câlins d’ego. Trump, c’est Trujillo qui
ne veut pas de ces haïtiens qui traversent sur son territoire d’hommes à
peau claire. Trump, c’est Batista ouvrant son pays aux casinos de la Mafia.
Trump, c’est Duvalier qui te veut avec lui ou exilé, ou assassiné. Trump, c’est
aussi constamment voir ses opposants comme une « ti minorite zwit ».
Trump, c’est offrir vulgairement une banane à une journaliste pour la faire
taire. Trump, c’est le président et les dirigeants que les USA ont soutenus
dans tant de pays.
Vous comprenez donc pourquoi il serait quelque part agréable de voir les
États-Unis goûter à cette soupe qu’ils ont fait avaler à tant de
peuples !
Hillary et son rôle dans la Trumpisation d’Haïti
Pour plusieurs Haïtiens, une défaite d’Hillary face à Trump serait l’ultime
ironie. Après le séisme du 12 janvier 2010, les Clinton qui déjà portaient un
intérêt particulier pour Haïti se sont permis des droits impensables dans un
État souverain. Tel esl le cas de la CIRH dont Bill était le coprésident,
chargé d’administrer les fonds de la communauté internationale reçus pour la
reconstruction. L’échec de cette prétendue reconstruction, doublé de cette
ingérence sans précédent a séché les dernières gouttes d’affection qui restaient
entre le peuple haïtien et les Clinton.
Ce ressentiment s’est amplifié pour certains quand Al Jazeera a confirmé, dans une enquête journalistique, que
les États-Unis avaient financé, soutenu et influencé l’élection de Martelly, le
dernier président élu d’Haïti. Toutes ces manœuvres orchestrées par la machine
diplomatique et humanitaire américaine avaient été au moins approuvées par la
Secrétaire d’État d’alors, Hillary Clinton. Vous comprenez donc l’origine de
cette rancune haïtienne envers les Clinton.
Pour certains haïtiens l’élection de Trump serait le summum de l’ironie du
sort et la preuve de l’existence du karma. Il existe une similitude ahurissante
entre les principaux acteurs haïtiens des présidentielles de 2011 et ceux
Américains des élections de 2016. Des deux côtés, une femme âgée, ancienne
Première Dame avec une grande formation des universités les plus prestigieuses
du monde ; et de l’autre, un entertainer égocentrique qui se veut
non-conventionnel, sans aucune expérience politique, vendant une image d’homme
d’affaires à succès. Les ressemblances Clinton-Manigat et Trump-Martelly
sont dignes d’un scénario hollywoodien. Martelly, lors d’un débat présidentiel
en 2011 s’était même comparé à Donald Trump.
Une coïncidence frappante, mais aussi, pour ceux qui portent un regard léger
sur la situation, sublimement ironique. Naturellement, ceux qui souffrent
encore de l’élection de Martelly souhaitent que les dieux de l’ironie aillent
jusqu’au bout de leur pirouette et portent Trump au pouvoir.
Les enjeux surpassent les sentiments de vengeance ou les désirs d’ironie
Voir celui qui t’a tendu un piège tombé dans ce même piège peut apporter un
plaisir orgasmique. Ce réflexe est humain. On veut partager nos plaisirs avec
ceux que l’on aime et l’on souhaite les mêmes peines à ceux qui nous font du
tort. Mais une plus grande expression de l’humanité est cette capacité d’aller
au-delà de la satisfaction de ses bas instincts. La vengeance ou le désir de la
réalisation d’une prophétie ironique ne peuvent pas guider nos souhaits pour
d’autres.
« When
they go low, we go high », clame Michelle Obama.
Malgré leurs ressentiments, les pays du tiers-monde et Haïti semblent
préférer Hillary Clinton à Donald Trump. Ils sont probablement d’abord
guidés par leur instinct de survie qui recommande qu’on évite à tout prix
de laisser l’armée la plus puissante de tous les temps et ses armes nucléaires
à un enfant de 70 ans. Mais il y a aussi une part de ce choix qu’il faut
attribuer à la conviction que le peuple américain ne mérite pas l’affront d’un
Trump à sa tête. Le reste du monde veut croire que cet inculte et vulgaire
personnage ne représente pas les États-Unis. Donc, chers États-Unis d’Amérique,
en pensant à la formule de Michelle Obama, comprenez que : quand vous
allez bas sur nos choix de dirigeants pour satisfaire vos intérêts, nous, les
pays du tiers monde, allons haut dans vos choix de dirigeants dans l’optique
d’un monde plus harmonieux.
La population haïtienne, y compris sa diaspora, malgré les profondes
blessures causées par les Clinton, souhaite en majorité Hilary pour que
votre dignité de peuple reste saine et sauve. Considération que vous ne faites
pas pour nous, pays pauvres. Le but n’est pas non plus que vous nous aidez ou
influencez dans nos « bons choix » de dirigeants, mais que vous
faites comme nous le faisons aujourd’hui sans nous immiscer dans vos affaires,
souhaiter que vous élisiez un président qui reflètera vos valeurs et ne salira
pas votre patrie.
Crédit: Jétry
Dumont/Ayibo
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