samedi 12 novembre 2016

Haiti/Social: Certaines choses doivent rester au placard!

Mars 1992,

Port-au-Prince, Haïti

Carrefour-Feuilles, Rue Jean-Phillippe.

Je la retenais au sol, alors que des amis du quartier la bastonnaient. Pardon, j’ignore toujours comment parler de César qui se faisait appeler Suze depuis des années. Ils lui ont foutu une raclée sans merci. Gio lui a littéralement cassé la gueule. Quelle impertinence de Suze ! Prétendre le reconnaitre devant son établissement scolaire ! L’intéressé était accompagné des plus jolies filles de sa classe, achetant des friandises pour sa clique avec le reste de l’argent du transfert mensuel que son père lui fait de la Floride.

Un timbre particulier, mais familier l’interpella.

·       Gio tu ne rentres pas chez toi ? dit-elle, en bombant sa poitrine.
Il a feint de ne pas l’entendre.

·       Gio à quelle heure vas-tu rentrer ? La voix de Suze augmenta de plusieurs décibels.

Nul ne pouvait douter du fait qu’elle connaissait son interlocuteur. Gio, pour enlever ces regards qui questionnaient sa virilité et son orientation sexuelle au risque de lui voler sa popularité lui lança un « on se connait » ? Suze/César chipa ? Elle lui répondit sans hésitation : « Eh ben, tu ne me connais pas, on verra qui te cuisineras un bon petit plat ce soir ? Elle continua sa démarche efféminée sur ses talons imaginaires, faisant valoir toutes les courbes que son corps s’était forgées sous le poids d’une féminité ressentie et vraie… Ouuuhhh, tous les élèves huaient leur camarade “Gio manje nan men Masisi”. La honte transparaissait sous la rougeur de son teint clair. Il secoua nerveusement les pieds de son pantalon tenant en évidence son pénis à travers le tissu pour définir sa bosse, vociférant qu’il faut être un homme pour être ainsi bien muni.

C’était un vendredi après-midi, dès qu’on l’a vu, on a vite constaté la contrariété. Il nous expliqua sa rencontre avec Suze/César après le renvoi, de l’erreur qu’elle a commise en la saluant en dehors des périmètres du quartier. Au début des années 90 et avant, personne n’aurait reconnu partager des liens avec des homos ou travestis. Le dicton qui se ressemble s’assemble ne pardonnerait pas une telle proximité avec un membre reconnu de la communauté LGBTI. Ces individus étaient considérés être de la pire espèce, l’image de l’immoralité grandissante au sein de la société et le facteur Sida ne facilitait pas les choses.

Nous avions compris le tort que pouvaient causer les salutations de Suze à Gio. Pourtant, je comprenais mal qu’il veuille à tout prix la battre. Elle n’avait pas menti. L’histoire aurait pu se révéler pire si l’on connaissait effectivement les points d’ombre de leur relation. Les gens ont suspecté, ont fait des commentaires sur leur amitié. Suze était l’attraction du quartier, notre phénomène de foire. Elle était aussi très bonne cuisinière. Gio prenait son repas du midi avec nous, derrière la case de fritures de la tante de Suze. On ne manquait jamais de marinades et de sauce aux choux. Nous étions tous toujours là dans sa cuisine quand elle nous servait à manger ou discutait avec nous. Nous ne voyions pas en premier plan nos différences sexuelles. En réalité, elle ne faisait du mal à personne. Moi, après avoir surpris Gio et Suze s’embrasser, j’ai compris qu’ils étaient amants, que nous lui servions de couverture.  Il me fit promettre de ne rien dévoiler. Il acheta mon silence en me donnant une belle partie de ses transferts, de ses fringues et me laissa tenir l’arme de son oncle, colonel de l’armée de facto.

De toute façon, je ne parle pas des affaires des gens et je n’irais pas me mettre à dos le chef de notre bande dans ce bidonville du haut de Carrefour-Feuilles.

Suze/César, gigotait dans tous les sens sur le gravier de notre rue, criait en pleine rue des insanités dont elle seule avait la formule. Toutefois, son vacarme n’alarma pas le voisinage regardant les faits comme un spectacle intéressant. Plusieurs d’entre eux le voyaient comme une correction méritée. Ses cris excitaient aussi la violence de Gio. Je lui mis du tape électrique sur sa bouche pendant que les autres nouaient ses mains pour limiter ses mouvements.

Gio pensait que son secret était au grand jour. Il a forniqué avec Suze, il était coupable, sa sévérité devait tracer un exemple pour celui qui tenterait de croire qu’il entretenait une relation intime avec elle. Il descendit le pantalon de Suze et se détourna pour chercher du  bois pour la pénétrer par-derrière sous prétexte de vouloir le dresser, l’initier à la droiture. C’en était trop ! Je profitai d’un moment d’égarement de sa part pour libérer Suze/César et me mettre entre les autres. Elle en avait eu pour son compte. J’étais mal à l’aise et répugné par l’acte de barbarie que nous avions commis, l’humanité en moi m’empêcha de faire un pas de plus vers ce crime odieux.

Septembre 2016,

Kenskoff, Haïti

Thomassin, chez les Demezar

Je le regarde à la télé établissant le programme pour cette activité qu’ils vont organiser. Il est un chef de pont de cette communauté. C’est la deuxième fois que je le revois depuis cet incident à Carrefour-Feuilles. La dernière fois, il avait arrêté un taxi dans lequel je me trouvais, un jour en me rendant à la fac. Le chauffeur ne prit même pas la peine de lui répondre quand il entendit la détonation de sa voix. Il s’est juré de ne porter aucun sodomite dans sa voiture, il est un chrétien, il ne pourrait pas se le permettre… qu’il marche à pied là où il veut aller. L’instant fut bref, pourtant nos regards se sont croisés pour se reconnaitre, se jauger furtivement et s’abandonner.

Gio, lui est toujours là à trainer dans les bars avoisinant la rue Capois. Il n’a rien foutu de sa vie, il n’a pas pu se rendre à sa terre promise, les États-Unis. Les démarches de son père ont foiré, il n’était pas son enfant biologique. Il pue l’alcool bas de gamme, toutes les marchandes de poulet boucané reconnaissent son haleine d’alcoolique, toutes les putes identifient ses mains lubriques, il les a si souvent tripotés, c’est un de leur client régulier. Les anciens de la bande le fuient toujours. Il quémande sans arrêt de l’argent pour s’acheter une bière, un plat, pour payer l’écolage d’un de ses bambins. Il en a plusieurs ou le prétendait… Jamais le nom d’un enfant n’était entendu deux fois.

Ralph, change de chaine, dis-je à mon fils. Ma femme mit ses mains sur sa tête implorant Dieu de sauver le pays de ce fléau, de tous nos maux, il ne faudrait pas que l’homosexualité s’ajoute au nombre. Haïti a déjà trop de malheurs, la société perd ses repères et n’a pas besoin de légaliser ces perversions. Je me dis que je ne le souhaite pas non plus.  Je ne voudrais pas qu’un de mes amants devienne exigeant, se pense libre de sortir du placard, me demande de laisser ma famille pour vivre avec lui ou pire, m’avilir.



CréditFodlyne "Lou" André Rejouis

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