vendredi 18 novembre 2016

Haïti/Rétrospectives : Les "bals criminels" d'antan

Claude Dambreville
Les Port-au-Princiennes et les Port-au-Princiens des années trente et quarante se souviennent probablement de l'époque où, chaque année, dans la soirée des trois jours gras, il y avait une dizaine de bals masqués à Port-au-Prince. Certaines de ces réunions, principalement celles de la zone du Champ de Mars, étaient connues dans le public sous l'appellation péjorative de "bals criminels".

Qu'est-ce qui avait bien pu être la cause d'une telle dénomination ? Un acte sanglant avait-il été commis autrefois dans l'un de ces bals? Pas du tout. En pareille occurrence, le mot "criminel" s'appliquait plutôt à l'inobservance des lois sociales et morales, ainsi qu'à l'ambiance de dépravation qui régnait dans ces lieux de folle dissipation, ce qui, en plein cœur de la capitale, et de l'avis de plusieurs "collet monté" et "enfants de Marie", constituait un vrai crime. En résumé, on peut dire que l'adjectif "criminel" qui qualifiait ces bals, prenait à l'occasion le sens de "illicite", "condamnable", et "contraire aux lois divines et morales".

Pour commencer, bon nombre de Messieurs se présentaient à ces soirées de dérèglement, accompagnés de filles (manifestement de petite vertu) portant des déguisements aussi excentriques qu'osés , ce qui, dans la foule des curieux groupés à l'entrée de ces bals, provoquait de temps en temps des "oh" d'ahurissement ou de protestation. Outrancièrement choquants pour une période où la "bonne société" de chez nous se drapait encore dans des pudibonderies sophistiquées, les déguisements de ces dames de mœurs légères laissaient trop de cuisses dodues, trop de seins opulents, et trop de fesses charnues, presque entièrement à découvert.

En résumé, on peut dire que ces bals criminels étaient absolument blâmables, tout à fait délictueux, et rigoureusement déconseillés aux jeunes. Et, pas sans raison, s'il vous plaît. Pour vous donner une idée assez précise de la fraîcheur et de la candeur qui fleurissaient jadis dans certains milieux Port-au-Princiens, je vous dirai que les jeunes hommes des années quarante se prenaient pour des surhommes si, au cours d'un bal (non criminel), ils avaient réalisé l'exploit de faire du "cheek to cheek", c'est-à-dire de danser "joue contre joue", avec une séduisante jeune fille.

Il n'empêche qu'avec le relâchement des mœurs actuelles, et la disparition presque complète de notre pruderie d'autrefois, ces bals tellement décriés et désapprouvés en leur temps, n'auraient pas l'air tellement révoltants aujourd'hui , quoiqu'ils fussent, il faut bien le reconnaître, dépourvus de toute correction.


 Crédit : Claude Dambreville

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