Claude Dambreville |
Les Port-au-Princiennes et les Port-au-Princiens des années
trente et quarante se souviennent probablement de l'époque où, chaque année,
dans la soirée des trois jours gras, il y avait une dizaine de bals masqués à
Port-au-Prince. Certaines de ces réunions, principalement celles de la zone du
Champ de Mars, étaient connues dans le public sous l'appellation péjorative de
"bals criminels".
Qu'est-ce qui avait bien pu être la cause d'une telle
dénomination ? Un acte sanglant avait-il été commis autrefois dans l'un de ces
bals? Pas du tout. En pareille occurrence, le mot "criminel"
s'appliquait plutôt à l'inobservance des lois sociales et morales, ainsi qu'à
l'ambiance de dépravation qui régnait dans ces lieux de folle dissipation, ce
qui, en plein cœur de la capitale, et de l'avis de plusieurs "collet monté"
et "enfants de Marie", constituait un vrai crime. En résumé, on peut
dire que l'adjectif "criminel" qui qualifiait ces bals, prenait à
l'occasion le sens de "illicite", "condamnable", et
"contraire aux lois divines et morales".
Pour commencer, bon nombre de Messieurs se présentaient à
ces soirées de dérèglement, accompagnés de filles (manifestement de petite
vertu) portant des déguisements aussi excentriques qu'osés , ce qui, dans la
foule des curieux groupés à l'entrée de ces bals, provoquait de temps en temps
des "oh" d'ahurissement ou de protestation. Outrancièrement choquants
pour une période où la "bonne société" de chez nous se drapait encore
dans des pudibonderies sophistiquées, les déguisements de ces dames de mœurs
légères laissaient trop de cuisses dodues, trop de seins opulents, et trop de
fesses charnues, presque entièrement à découvert.
En résumé, on peut dire que ces bals criminels étaient
absolument blâmables, tout à fait délictueux, et rigoureusement déconseillés
aux jeunes. Et, pas sans raison, s'il vous plaît. Pour vous donner une idée
assez précise de la fraîcheur et de la candeur qui fleurissaient jadis dans
certains milieux Port-au-Princiens, je vous dirai que les jeunes hommes des
années quarante se prenaient pour des surhommes si, au cours d'un bal (non
criminel), ils avaient réalisé l'exploit de faire du "cheek to
cheek", c'est-à-dire de danser "joue contre joue", avec une
séduisante jeune fille.
Il n'empêche qu'avec le relâchement des mœurs actuelles, et
la disparition presque complète de notre pruderie d'autrefois, ces bals
tellement décriés et désapprouvés en leur temps, n'auraient pas l'air tellement
révoltants aujourd'hui , quoiqu'ils fussent, il faut bien le reconnaître,
dépourvus de toute correction.
Crédit : Claude
Dambreville
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