Claude Dambreville |
Je suis persuadé qu'on peut deviner l'âge approximatif d'une
personne, rien qu'en l'écoutant parler. Par exemple, une dame qui vous décrit
avec nostalgie son magnifique "phonographe" , qui lui permettait
d'entendre souvent ses "plaques" favorites ( La Madelon, Babalu aye,
Tout va très bien, Mme la Marquise ), est manifestement une octogénaire
accomplie.
Quelqu'un qui n'arrive pas à décomposer certains mots comme
mouchoir-poche, serviette de bain, soutien-gorge, bracelet-montre, et qui dit
toujours "automobile" au lieu de "auto", ou "crème à
la glace" au lieu de "crème" tout simplement, a certainement vu
le jour depuis pas mal de lustres.
Une maîtresse de maison qui sermonne sa femme de ménage,
sous prétexte qu'elle a omis de nettoyer le "confort moderne" du
cabinet de toilette, est une citoyenne d'un âge vénérable. Au fait, savez-vous,
chers lecteurs de quarante ou cinquante ans, ce qu'on appelait jadis un
"confort moderne" ? C'était le mot composé qui servait à designer un
W.C.
D'autres mots très anciens se prononcent de moins en moins,
et peuvent trahir l'âge de ceux qui les emploient. Si, au lieu de demander à
votre femme de vous préparer un délicieux jus de corossol, vous mentionnez de
préférence le terme "boubouille", vous êtes un estimable vétéran. Si vous
exprimez le désir de savourer un grand verre de "goudrine"
(déformation des deux mots anglais "good" et "drink"), pour
désigner du cidre d'ananas fabriqué à la maison, il ne fait pas de doute que
vous êtes un vieillard respectable.
Si vous ne voulez pas que l'on vous prenne pour une pièce
antique sur le point d'être acheminée au Musée, pour conservation, tâchez
autant que possible de rayer de votre vocabulaire des mots comme
"kodak" ( appareil photo), "chambre haute" ou "chanmotte",
pour désigner une maison comportant un étage, "habaco", qui
signifiait naguère, chez nous, "blue-jean", "casque-pompier,
pour coiffure haute, "caraco" ou "mamelouk" pour parler
d'une robe de paysanne, etc.
Et, pour conclure, j'estime qu'il est important que je
recommande à mes collègues croulants, anciens, et patriarches de ne pas essayer
de faire perdurer les mots et expressions créoles qui ont fait leur temps.
C'est vraiment peine perdue qu'ils incluent dans leurs conversations des
proverbes, sentences et dictons surannés. Très peu de gens les comprennent plus
ou moins. Quant aux jeunes de vingt, trente, et quarante ans, ils n'y voient
que du chinois. A titre d'exemples, citons notamment :
"Tout chen pral bwè dlo doubout", "Kafe'l
koule ak ma", "Chen ap tranpe kasav pou li", "Zo'l pa bon
pou fè bouton", "Pye sa'm manje, m'pa barou".
Crédit : Claude Dambreville
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