mardi 22 novembre 2016

Haïti/Rétrospectives : Un verre de « goudrine ».

Claude Dambreville
Je suis persuadé qu'on peut deviner l'âge approximatif d'une personne, rien qu'en l'écoutant parler. Par exemple, une dame qui vous décrit avec nostalgie son magnifique "phonographe" , qui lui permettait d'entendre souvent ses "plaques" favorites ( La Madelon, Babalu aye, Tout va très bien, Mme la Marquise ), est manifestement une octogénaire accomplie.

Quelqu'un qui n'arrive pas à décomposer certains mots comme mouchoir-poche, serviette de bain, soutien-gorge, bracelet-montre, et qui dit toujours "automobile" au lieu de "auto", ou "crème à la glace" au lieu de "crème" tout simplement, a certainement vu le jour depuis pas mal de lustres.

Une maîtresse de maison qui sermonne sa femme de ménage, sous prétexte qu'elle a omis de nettoyer le "confort moderne" du cabinet de toilette, est une citoyenne d'un âge vénérable. Au fait, savez-vous, chers lecteurs de quarante ou cinquante ans, ce qu'on appelait jadis un "confort moderne" ? C'était le mot composé qui servait à designer un W.C.

D'autres mots très anciens se prononcent de moins en moins, et peuvent trahir l'âge de ceux qui les emploient. Si, au lieu de demander à votre femme de vous préparer un délicieux jus de corossol, vous mentionnez de préférence le terme "boubouille", vous êtes un estimable vétéran. Si vous exprimez le désir de savourer un grand verre de "goudrine" (déformation des deux mots anglais "good" et "drink"), pour désigner du cidre d'ananas fabriqué à la maison, il ne fait pas de doute que vous êtes un vieillard respectable.

Si vous ne voulez pas que l'on vous prenne pour une pièce antique sur le point d'être acheminée au Musée, pour conservation, tâchez autant que possible de rayer de votre vocabulaire des mots comme "kodak" ( appareil photo), "chambre haute" ou "chanmotte", pour désigner une maison comportant un étage, "habaco", qui signifiait naguère, chez nous, "blue-jean", "casque-pompier, pour coiffure haute, "caraco" ou "mamelouk" pour parler d'une robe de paysanne, etc.

Et, pour conclure, j'estime qu'il est important que je recommande à mes collègues croulants, anciens, et patriarches de ne pas essayer de faire perdurer les mots et expressions créoles qui ont fait leur temps. C'est vraiment peine perdue qu'ils incluent dans leurs conversations des proverbes, sentences et dictons surannés. Très peu de gens les comprennent plus ou moins. Quant aux jeunes de vingt, trente, et quarante ans, ils n'y voient que du chinois. A titre d'exemples, citons notamment :

"Tout chen pral bwè dlo doubout", "Kafe'l koule ak ma", "Chen ap tranpe kasav pou li", "Zo'l pa bon pou fè bouton", "Pye sa'm manje, m'pa barou".


 Crédit : Claude Dambreville

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