Claude Dambreville |
Jadis, pour un grand nombre de Port-au-Princiens, le bain de
mer du dimanche revêtait un caractère tout à fait rituel. Ce jour-là, contre
vents et marées, ces mordus de la baignade dominicale se rendaient allègrement
à leur plage favorite, vers dix heures du matin. Par "plage", je n'entends
pas forcément une belle étendue de sable au bord de la mer, mais un coin
sympathique où l'on pouvait se baigner tranquillement.
Accompagnés de leur famille, certains de ces baigneurs
stationnaient leur auto à la "mer frappée", et se faufilaient entre
les grosses roches bordant la rive, pour parvenir à l'eau fraîche. Là,
plusieurs jeunes prenaient leurs aises, paresseusement installés dans de
vieilles chambres à air qui flottaient au gré de la brise. Quant aux fins
nageurs, ils s'élançaient vers le large, en exécutant des brasses prodigieuses.
Cependant, à l'intention de ceux qui ne rechignaient pas à
payer un modique droit d'entrée de deux gourdes, une grande propriété privée
baptisée "Arcachon" avait été sommairement aménagée quelque part à
Bizoton . Sur ce terrain planté d'amandiers, environ vingt bungalows au toit de
chaume étaient réservés, moyennant location, aux baigneuses qui souhaitaient se
déshabiller en toute quiétude, et à l'abri des voyeurs.
Cet endroit était tranquille, reposant, et "déstressant".
Une oasis pleine d'agrément. Un site qui aurait pu être beaucoup plus plaisant,
s'il avait été démoustiqué, car, dès votre arrivée, vous étiez souvent piqué
par des maringouins voraces. De plus, même si la mer était paradisiaque, le
fond marin était pavé de désagréables oursins ( en créole "chardons).
C'est ce qui explique pourquoi, après un bain de mer à Arcachon, vous pouviez
facilement passer deux jours à extraire de la plante de vos pieds ou de vos
talons les maudits piquants d'oursins qui s'y étaient fichés.
Toutefois, le lieu le plus populaire pour ce bain de mer du
dimanche se situait à Lamentin (je crois), et s'appelait "Gwo
manman". Je ne saurais vous dire si cette station balnéaire populeuse
existe encore. A la vérité, le bain de mer n'était pas l'unique préoccupation
de tous les visiteurs ( célibataires en quête de plaisirs lubriques et maris en
escapade, pour la plupart ) qui affluaient à ce pôle de volupté chaque dimanche
. Pour la forme, ces débauchés faisaient une trempette expéditive dans l'eau de
mer, car , s'ils s'étaient rendus à "Gwo manman", c'était surtout
pour prendre leurs ébats sous une grande tonnelle, en dégustant des
"grillots", en buvant du rhum à profusion, et en dansant lascivement
avec toutes ces dames et demoiselles de mœurs libertines, qui portaient des
maillots de bain très osés, et des soupçons de bikinis qui ne cachaient pas
grand-chose. Des musiciens volants animaient avec ardeur ce "koudyay"
endiablé, cette bamboche étourdissante qui se prolongeait parfois jusqu'à dix
heures du soir.
Crédit : Claude Dambreville
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