mardi 22 novembre 2016

Haïti/Rétrospectives : Le bain de mer dominical

 Claude Dambreville
Jadis, pour un grand nombre de Port-au-Princiens, le bain de mer du dimanche revêtait un caractère tout à fait rituel. Ce jour-là, contre vents et marées, ces mordus de la baignade dominicale se rendaient allègrement à leur plage favorite, vers dix heures du matin. Par "plage", je n'entends pas forcément une belle étendue de sable au bord de la mer, mais un coin sympathique où l'on pouvait se baigner tranquillement.

Accompagnés de leur famille, certains de ces baigneurs stationnaient leur auto à la "mer frappée", et se faufilaient entre les grosses roches bordant la rive, pour parvenir à l'eau fraîche. Là, plusieurs jeunes prenaient leurs aises, paresseusement installés dans de vieilles chambres à air qui flottaient au gré de la brise. Quant aux fins nageurs, ils s'élançaient vers le large, en exécutant des brasses prodigieuses.

Cependant, à l'intention de ceux qui ne rechignaient pas à payer un modique droit d'entrée de deux gourdes, une grande propriété privée baptisée "Arcachon" avait été sommairement aménagée quelque part à Bizoton . Sur ce terrain planté d'amandiers, environ vingt bungalows au toit de chaume étaient réservés, moyennant location, aux baigneuses qui souhaitaient se déshabiller en toute quiétude, et à l'abri des voyeurs.

Cet endroit était tranquille, reposant, et "déstressant". Une oasis pleine d'agrément. Un site qui aurait pu être beaucoup plus plaisant, s'il avait été démoustiqué, car, dès votre arrivée, vous étiez souvent piqué par des maringouins voraces. De plus, même si la mer était paradisiaque, le fond marin était pavé de désagréables oursins ( en créole "chardons). C'est ce qui explique pourquoi, après un bain de mer à Arcachon, vous pouviez facilement passer deux jours à extraire de la plante de vos pieds ou de vos talons les maudits piquants d'oursins qui s'y étaient fichés.


Toutefois, le lieu le plus populaire pour ce bain de mer du dimanche se situait à Lamentin (je crois), et s'appelait "Gwo manman". Je ne saurais vous dire si cette station balnéaire populeuse existe encore. A la vérité, le bain de mer n'était pas l'unique préoccupation de tous les visiteurs ( célibataires en quête de plaisirs lubriques et maris en escapade, pour la plupart ) qui affluaient à ce pôle de volupté chaque dimanche . Pour la forme, ces débauchés faisaient une trempette expéditive dans l'eau de mer, car , s'ils s'étaient rendus à "Gwo manman", c'était surtout pour prendre leurs ébats sous une grande tonnelle, en dégustant des "grillots", en buvant du rhum à profusion, et en dansant lascivement avec toutes ces dames et demoiselles de mœurs libertines, qui portaient des maillots de bain très osés, et des soupçons de bikinis qui ne cachaient pas grand-chose. Des musiciens volants animaient avec ardeur ce "koudyay" endiablé, cette bamboche étourdissante qui se prolongeait parfois jusqu'à dix heures du soir.


 Crédit : Claude Dambreville

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