vendredi 18 novembre 2016

Haïti/Rétrospectives : Autrefois, les curieux bougeaient sans répit

Claude Dambreville
Dans le temps, (et jusque dans les années trente et quarante ) , la population Port-au-Princienne comprenait un grand nombre de fieffés "regardeurs", d'impénitents fouineurs, et d'incessants observateurs. Pour qualifier cette manie que nous avions jadis au superlatif d'examiner et de scruter tout ce qui se passait autour de nous, et qui ne nous regardait aucunement, disons que nous étions ( et sommes peut-être jusqu'à présent ) d'incorrigibles curieux .

Toutes les rues avaient leur équipe de flâneurs et de désœuvrés toujours prêts à aller jeter un coup d'oeil inquisiteur partout où surgissait un incident ou un événement soudain d'une certaine importance : un esclandre spectaculaire, un grave accident d'auto, un incendie ravageur, un mariage grandiose, des funérailles exceptionnelles, l'écroulement impressionnant d'une maison, etc. Je dois préciser qu'à cette époque, le petit écran n'avait pas encore fait son apparition en Haïti, et, pour chasser l'ennui, on n'était pas trop exigeant en matière de passe-temps à bon marché.

Des demoiselles d'âge canonique, friandes de ragots et de faits divers, des chômeurs en quête de distractions, et même des adolescents en vacances ne se faisaient pas prier pour se rendre, sans perte de temps, sur le théâtre de n'importe quel drame urbain, ou de n'importe quel événement mondain de la capitale.

Fallait les voir, ces curieux professionnels, lors d'un grand mariage, par exemple. Se bousculant tapageusement à l'entrée d'une église, et laissant tout juste assez d'espace, pour le passage du cortège nuptial, ces fureteurs assidus faisaient des réflexions malséantes, à haute voix : "le marié a l'air vieux et fatigué", "à ce que je vois, la mariée n'a pas perdu son temps", "la robe de la marraine est affreusement démodée", et quantité d'autres remarques les unes plus terre à terre que les autres.

Au temps de ma jeunesse, j'ai connu une vieille demoiselle qui ne faisait partie d'aucun groupe, pour repaître sa légendaire curiosité. Un soir, vers dix heures, alors qu'elle dévalait la pente abrupte de la Ruelle Chrétien, à St Antoine, pour aller observer un incendie qui venait d'éclater au pied du Morne l'Hôpital, elle tomba par accident dans une bouche d'égout laissée à découvert. Non seulement elle rata le spectacle excitant qu'elle allait voir, mais, de surcroît, par suite de la grave fracture d'une de ses jambes, elle fut condamnée à marcher avec une béquille, pendant tout le reste de sa vie. Ce personnage spécial était bien connu de pas mal de Port-au-Princiens. C'était une Haïtienne d'origine jamaïcaine, et elle s'appelait Adelyna Joseph, "Dély" pour les intimes. Pour se faire un maigre moyen de subsistance, Dély passa une bonne partie de son existence à vendre , au marché de Pétion-ville, des allumettes, des bougies, et toutes sortes de brimborions exposés pêle-mêle dans un "layé", ( mot créole servant à désigner un support plat de paille tressée, dans lequel on vendait probablement de l'ail , au temps passé ).


 Crédit : Claude Dambreville

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