vendredi 18 novembre 2016

Haïti/Rétrospectives : Maudite "KALONAD"

Claude Dambreville
Nous sommes dans les années trente ou quarante (la date exacte importe peu). Par une période de crise politique grave, les cinq membres d'une famille Port-au-Princienne viennent de prendre sans appétit leur repas du soir. Il est 7h 15 P.M.

Le black-out sévit avec rigueur, et ajoute un profonde note de tristesse dans tous les foyers. Personne n'ose mettre le nez dehors, car les rues sont loin d'être sûres.

Tandis que la famille en question essaie de digérer la soupe insipide qu'elle vient de consommer, les dernières nouvelles politiques reviennent continuellement sur le tapis : les nombreuses personnes arrêtées, la démission fracassante du Ministre de la Justice, les sévères mises en garde du Président de la République, etc.

Soudain, un bruit sec, sonore, et tout à fait inattendu résonne au-dessus des têtes. Sans aucun doute, une grosse pierre. Deux, trois, quatre, cinq autres projectiles du même genre s'abattent sur le toit de tôles ondulées de la maison. C'est la "kalonad" ou grêle de pierres qui vient de commencer. Enervante, troublante, et infernale. Toutes les habitations avoisinantes reçoivent, elles aussi, leur feu nourri de pierres.

LA " KALONAD" , C'ÉTAIT ÇA.

Personne n'osait plus parler. On enrageait in petto, car on était impuissant face à ce délit traditionnel, qui consistait à faire pleuvoir une flopée de pierres sur tous les toits d'une rue, ou d'un quartier. Une pratique absurde, ridicule, et gratuite. Une habitude idiote qui mettait les nerfs en boule, et qui se manifestait surtout lors des troubles politiques.

Etant donné que, naguère, presque toutes les maisons de la capitale étaient recouvertes de tôles, cela constituait pour les dizaines de pierres lancées par les "kalonneurs", un point d'impact diablement bruyant, tonnant et agaçant.

Le plus révoltant, c'est que, bien souvent, ces infatigables lanceurs de pierres étaient des adolescents bien connus, et identifiés par les habitants de toutes les maisons qui avaient été sauvagement bombardées. Toutefois,, n'ayant jamais été surpris avec la main dans le sac (de pierres), ces abominables fauteurs de désordres protestaient toujours formellement de leur innocence. D'ailleurs, pour être en mesure de se disculper ultérieurement, ils prenaient toujours la précaution de "kalonner" également leur propre maison.

En somme, à quoi étaient imputables ces lamentables écarts de conduite ? A l'ennui tout simplement. N'ayant rien a faire pour passer le temps, ne disposant pas encore de télévision, de tablettes, ou de téléphones cellulaires, ces jeunes garçons choisissaient de se distraire tout bêtement, en faisant écumer de rage des milliers de Port-au-Princiens.

Pour terminer, je tiens à remercier Claudie Déjean Glaude, une cousine de ma femme qui vit à New York, et qui est âgée de 90 ans. Fouillant dans ses vieux souvenirs, elle s'est rappelé qu'à la suite de l'une de ces violentes "kalonnades", un quotidien haïtien avait sorti en lettres grasses l'en-tête suivant :

BOMBARDEMENT AÉRIEN NOCTURNE À LA RUELLE PIQUANT ET À LA RUELLE JARDINES.


 Crédit : Claude Dambreville

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