N.D.L.R.- Texte reçu aux salles de rédaction de "DIASPORAMA-HAITI" & "CANAL+HAITI" le 10 décembre 2016.
On
finit par s'habituer à l'odeur singulière des
lieux après plusieurs visites, j’en suis à ma troisième. Une senteur concentrée
de feuilles du terroir, d'excréments d'animaux et d’huiles essentielles, tantôt
harcelante, tantôt crue, pénètrent mes narines. Les murs rouge vif et vert
feuille de ce temple vaudou sont noircis par le souffre et gommés par les
flammes des bougies à base de cire d’abeille. L’accord envahissant des
tambours, le rythme saccadé et puissant attirent et retiennent mon esprit dans
leur torpeur.
J'attends
la mambo sur une petite chaise basse, sous ce toit recouvert de paille sèche.
La chaleur est suffocante, on dirait l’antre de l’enfer. J’ai dans mon sac son
caleçon et d’autres articles qu’elle m’a demandé d’apporter par téléphone.
J’attends qu’elle finisse avec son patient. Je ne demanderais pas de l'aide
ailleurs, je tiens à ce que cela reste discret. Imaginez-vous que mes collègues
à la banque soient au courant, elles jaseraient même quand elles font la même
chose. Ralph a recommencé à grogner. Tout lui déplaît. Il se plaint que la
bouffe est infecte, que ses vêtements sont mal repassés, du soleil qui
transperce les rideaux pour perturber son sommeil. Je suis venue ici avant
qu'il ne recommence à me frapper. C’est ainsi à chaque fois que les dernières
incantations arrivent à expiration. Je ne pourrai pas me passer de lui.
Je le
veux à tout prix.
Il est
le seul homme qui soit resté avec moi aussi longtemps. Les autres m’ont laissé
tomber après quelques semaines. Mes relations ont rarement duré plus d'un
trimestre. Ils ont toujours un reproche, une jalousie imaginaire. Le dernier,
un directeur départemental dans le Sud, est maintenant en couple avec une amie
à moi, elle me l’a volé. Un d'entre eux m'a laissé, lorsqu'il a trouvé une
diaspora. Je ne pouvais pas rivaliser avec un green card.
Ralph
et moi avions commencé très bien notre relation, nous avions passé le cap
fatidique des trois mois. Je l’aime, il me traite bien. Je prends bien soin de
son ventre et de son bas-ventre. Toutefois, j'ai senti la malédiction nous
rattraper quand il a souri à une voisine. La semaine d’après, il lui a offert
une « roue libre ». Je voyais cette familiarité d'un mauvais œil. J'avais
offert une neuvaine à Sainte Altagrace pour un homme après ma dernière
déception amoureuse. Notre union selon moi était la réponse à mes prières. Je
suis fatiguée d'assister à toutes ces messes, de tournoyer sans cesse les
graines de mon chapelet sans aboutir. Les saints ne sont fidèles qu'à Dieu, ils
prennent leur temps pour tout faire. Je veux des résultats rapides et
efficaces, je veux garder mon homme.
J'ai
fait appel à Mita, une cousine originaire de Léogâne. Elle a été hébergée chez
nous plus jeune, je sais que je peux me fier à elle. Elle doit bien connaître
un prêtre vodou dans sa zone. C'est ainsi que je suis arrivée chez tante Yole,
une spécialiste des relations amoureuses. La première fois, j'avais peur de
tout, du décor mystique de la pièce, des cruches dans tous les coins, des
dessins multicolores et effrayants d’animaux sur les murs et du vèvè dessiné
sur le sol. Je lui ai expliqué ma situation, elle m'a ensuite remis une potion
à mettre dans la nourriture du concerné avec des indications. Je les ai suivies
à la lettre quoiqu’un peu septique au début. Tout était rentré dans l’ordre
pour un bon moment avant que Ralph ne me donne une gifle sans raison apparente.
Je suis retournée pour me plaindre et demander réparation. La prêtresse m’a
appris qu’une bonne relation est comme une plante, il faut la nourrir, comme
les cheveux crépus qu’on souhaite maintenir soyeux, il faut les retoucher.
La
deuxième fois, elle m'a obligée à me coucher nue sur une table au centre de son
sanctuaire, les mains et les pieds allongés. Ses disciples, vêtues de blanc,
secouant leurs tchatcha, dansaient autour de moi. Elle a versé sur moi un
liquide sentant la fleur, l’a passé sur mon sexe. Je craignais d’attraper une
infection mais j’avais plus peur que Ralph ne me quitte. Le reste, je l’ai
utilisé pour ma toilette intime la semaine suivante pendant sept midis et sept
minuits. Cela a porté fruit, il est resté normal jusqu’ à ma visite
aujourd’hui.
Tante
Yole est là, avec son mouchoir en soie rouge recouvrant ses cheveux
grisonnants, sa robe aux fleurs imprimées abracadabrantes. C’est une femme
imposante, sa généreuse poitrine est retenue par un soutien-gorge qui ne laisse
pas ciller ses seins. Sa peau noire est serpentée de cicatrices créées avec un
couteau chaud pour marquer au fer son appartenance aux Esprits. Ses yeux
globuleux sont le plus souvent fermés quand elle est en transe. Elle m’a mise à
l’aise, je suis de la maison maintenant. Elle est au courant des derniers
événements. Elle appelle un « hounsi », lui parle sans tourner la tête,
expliquant ce qu’elle veut qu’il l’apporte. Le jeune homme revient avec dans sa
main droite une poupée artisanale et un bout de ficelle et dans l’autre une
chaise miniature identique à celle sur laquelle je suis assise. Elle me demande
si j'ai avec moi un objet de lui comme j’ai apporté lors de mes précédentes
visites. Je lui confie son sous-vêtement.
Elle
concocte un philtre
Après
avoir appelé les loas, elle me remet la poupée liée sur la chaise me demandant
de la garder à l'abri, en me disant: « Pa inkyete w, mesye a p ap fè wonn pòt
». Je laisse l'argent dans l'assiette abîmée en émail à ma sortie du temple.
Sur le
chemin du retour, il y a un long embouteillage. Je suis anxieuse, je me suis
absentée longtemps, Ralph risque de se fâcher. J'imagine la dispute qu’on
risque d’avoir à mon arrivée à la maison. Il est là quand je rentre, Je lui
sors une excuse bidon pour justifier mon retard, il acquiesce sans broncher. Il
m’enlace dans ses bras et m'embrasse. Il me dit que je lui ai manqué. Je suis
heureuse. Je lui dis que je reviens, je vais prendre un bain. Je cache la pièce
en sûreté dans mon placard. Le service a été rapide, je suis très satisfaite.
J’ai
encore deux autres requêtes pour tante Yole : un mariage et un bébé. J’ignore
laquelle je vais demander en premier. Je le saurai avant de retourner au temple
vaudou. En attendant, je vais mettre le couvert pour manger avec mon homme.
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