Il est trois heures du matin. Le petit hurlement d’un gond
rouillé surprend le gros chat gris de madame Lucien, la propriétaire de la
boutique de salaison, à l’entrée de corridor Popo, presqu’en en face de cité
Simone Ovide Duvalier. Les yeux scintillant, l’animal, comme une rivale à un
bal masqué, dévisage Gertha, 39 ans qui laisse son taudis et ses cinq enfants
endormis.
A pas pesant, pour ne pas faire de bruit, Gertha, affublée
d’une vielle chemise de nuit mauve, traverse les rails de la Hasco. Elle s’arrête,
cent pas plus loin, prend le temps de passer à gauche de deux balaies neufs
disposés en croix au premier carrefour. Elle remarque aussi un « kwi », des
grains de maïs, des haricots noirs et un parchemin posé sur une petite chaise
en paille. « Quelqu’un est dans de beaux draps. Expédition, expédition,
expédition », se répète Gertha dont le cœur bat la chamade.
Son sang se met à bouillir d’effroi. Pour se défendre des
lougarou, mauvais esprits, move zè, elle a une pierre boucanée à la main
droite, une poignée de gros sel dans l’autre. Elle avance, résolument. La «
grimel » de Jacmel renforce la cadence, effrayée par des voix impossibles à
comprendre, portées par le vent glaciale de décembre. Quand la voix est proche,
il n’y a rien à craindre. Mais là, c’est différent. La société de chanpwel est
tout près. La provinciale se souvient des leçons de sa grand-mère, guérisseuse,
grande connaisseuse de la nuit, de son code et de ses secrets.
Encore cinquante mètres avant la rue Coq, de l’autre côté de
la route nationale numéro 1. Saisie par un frisson, la bouche pleine de salive,
les yeux inondés de larme qui refusent de couler, Gertha se met soudainement à
courir. La frayeur sur les talons, elle accélère, entend son souffle, les
battements de son cœur, se voit bœuf vendu au marché. Elle court, ouvre sans
frapper les deux pièces où l’attendait Camille, son amant.
Elle expire silencieusement dans le noir du lieu, orphelin
d’une lampe « Tet Gridap ». Assis au bord d’un lit monté sur quatre blocs 15,
Camille, 52 ans, ne s’est pas encore déshabillé. Le sergent, en kaki, cheveux
gominé, bel homme du plateau central, vient à peine de rentrer, quelques
minutes après avoir raclé sa gorge tout près de chez Gertha. C’était le signal
des retrouvailles discrètes entre les amoureux. Sans dire un mot, elle se jette
sur Camille. Elle saisit la main de son amant et l’enfonce dans son sexe
mouillé par une double excitation : la peur et le désir.
« J’aime tes doigts…Je n’avais pas mis de culotte »,
susurre-t-elle à l’oreille de Camille qui renifle les recoins intimes de
Gertha. Il est un chien, soucieux de marquer son territoire, le corps de sa
douce dont les cinq enfants sont de trois pères. Camille lèche, sa soumise
pousse un petit gémissement. De plaisir. Un shut discret glisse sur les lèvres
du militaire dont l’haleine pue la cigarette à la menthe et un coup de clairin.
Le lit fait trop de bruit. Par terre, ce sera mieux. Entre le pistolet, les
bottes, un drap bleu en fin de vie, les amants font une pièce…
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