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Le Président et Baby Blue.
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Michele Bennett Duvalier |
Quelques mois après mon mariage avec Jean Claude, mon jeune
frère Rudy, qui faisait ses études dans un college du Vermont aux USA, rentra
par curiosité dans une oisellerie et il entendit une voix lui dire "Hello
sir!". Il se retourna et vit un magnifique ara bleu et jaune du Brésil sur
un perchoir. Rudy, fasciné, entama une conversation avec l'oiseau. Il lui
demanda son nom, le perroquet répondit "Baby Blue". A How are you?,
il répondit "fine". Rudy était conquis. Arrivé chez lui, il m'appela
et me fit part de sa rencontre et je lui ai demandé de se renseigner si ce
perroquet était a vendre, car je voulais l'offrir a Jean Claude pour son
anniversaire. Il me faut préciser que chez les Bennett/Duvalier on adore les
animaux. Avec JCD on avait une bonne quarantaine de toutous qui nous étaient
offert par la famille, des amis, ou même par des représentants du Corps
Diplomatique. On nous offrait souvent des couples dont les nombreuses
naissances réjouissaient notre entourage avec qui nous partagions les chiots.
Ils étaient logés dans un vaste enclos dans les jardins à l'arrière du Palais
National, et chaque couple avait sa niche et leurs noms bien en évidence sur un
petit panneau. C'était le petit village canin. Deux personnes et un vétérinaire
s'en occupaient à temps plein. Quand Jean Claude les visitait, c'était la fête.
Ils sautillaient autour de lui et voulaient tous un câlin. Il avait une mémoire
extraordinaire et se souvenait des noms de chacun des toutous. Des noms assez
saugrenus comme Mr et Mme Blanc, pour un couple de labradors au pelage blanc,
ou Mr et Mme Churchill pour un couple de bull dogs anglais, Mr et Mme Spock
pour les bull dogs français, Mr et Mme Moshe Dayan pour le couple de Jack
Russell qui avaient chacun un cercle noir autour des yeux, ou encore Mr et Mme
Aznavour pour le couple de bassets. Surtout je ne voudrais en aucun cas oublier
Mr et Mme Coupé Cloué, un couple de bergers allemands qui étaient en
perpétuelle lune de miel. Deux fois par semaine, toute la meute partait passer
la journée au Ranch de la Croix des Bouquets pour des exercices au grand air.
Rudy retourna le lendemain a l'animalerie pour s'enquérir
auprès du propriétaire si le perroquet était a vendre. Sur un ton offusqué, il
lui dit que Baby Blue était considéré comme un membre de sa famille et jamais
il ne pourrait s'en séparer. Rudy qui était doué d'un grand sens des affaires,
tenta le coup et lui dit: "et si je vous offrais une certaine somme en
espèces?". Le proprio de répondre sans hésiter, "Prenez-le! Cela fait
3 ans seulement qu'il est là. Il est à vous! Business is business."
L'oiseau ayant surement compris qu'il venait de faire
l'objet d'une vulgaire transaction commerciale de la part de son indélicat
maitre, rentra docilement dans une cage sans un regard ou un mot pour lui et
Rudy repartit avec son nouveau colocataire sous les bras. Il découvrit que Baby
Blue connaissait également pas mal de mots en espagnol.
Profitant de ses vacances scolaires, Rudy fit le voyage du
retour avec Baby Blue et American Airlines accepta exceptionnellement qu'il
soit en cabine a ses cotes, ce qui m'obligea a payer un billet pour l'oiseau
rare.
A l'arrivée de Baby Blue au Palais, Jean Claude était au
comble de l'excitation et tout de suite j'ai compris que c'était le coup de
foudre entre lui et Baby Blue. Cette dernière ne jeta même pas un regard a ma
belle-mère SOD ou a moi. Il n'y en avait que pour JCD. Elle lui fit des petites
danses, des pirouettes, s'est roule sur le sol et a notre grande surprise
appela le Président par son prénom. Rudy était un excellent prof!
Baby Blue s'installa tout de suite sur son épaule et poussa
de grands cris quand j'ai voulu m'en approcher. Son arrivée avait chamboulé
certaines de nos habitudes au Palais. Depuis notre mariage en Mai 1980, on
partageait le même appartement que sa mère Simone, en attendant d'emménager
dans le nôtre, un étage en dessous. JC fit installer une grande cage près de la
fenêtre dans le couloir desservant les chambres. Ce qui n'était pas une bonne
idée, car Baby Blue apostrophait ma belle-mère et l'appelait par son prénom
toutes les fois qu'elle passait devant sa cage. Ce qui faisait mourir de rire
mon mari qui s'en amusait. La présence de Baby Blue ne plaisait pas trop à SOD
qui aspirait a plus de tranquillité.
Le soir, je recouvrais la cage d'un drap blanc pour dormir
en paix mais surtout pour qu'elle ne se glisse pas dans notre lit.
Je m'attachais a Baby Blue qui avait une personnalité toute
en couleur. Elle était curieuse et joueuse. Gentille et amicale avec moi quand
j'étais seule en sa compagnie. Mais dès que Jean Claude rentrait dans la pièce,
les hostilités commençaient envers moi ou ceux qui s'approchaient de son maitre
et seigneur.
Un après-midi que j'avais été retardée à l'Hôpital de Bon
Repos, j'arrivais dans notre chambre pour trouver JC qui faisait une sieste. A
ses côtés, se trouvait Baby Blue, ses grandes et jolies ailes déployées sur mon
oreiller. Elle s'amusait a lui faire des bisous avec son bec très délicatement
sur la joue et lui mordillait le lobe de l'oreiller. Cela m'était impossible de
m'approcher de Jean Claude, qui a du remettre l'oiseau dans sa cage. A ce moment-là,
j'ai compris qu'on était trois dans ce mariage.
Jean Claude adorait que Baby Blue soit aussi possessive avec
lui. Dès que je me retrouvais seule avec elle, il fallait que je lui montre de
l'autorité pour me faire obéir. Souvent elle me répondait du tact au tact et
quand elle n'obtenait pas ce qu'elle voulait avec moi, elle vociférait:
"Gadé on Fam". Elle avait l'art de me mettre hors de moi mais JC lui
passait tous ses caprices.
Baby Blue |
Plus les jours passaient, plus son vocabulaire
s'enrichissait de nouveaux mots. Il faut dire qu'elle avait d'excellents
professeurs comme JCD, Rudy et mes deux fils ainés, Alix et Sacha qui
s'amusaient avec elle après l'école. A l'anglais, l'espagnol et francais, Baby
Blue s'est mise au créole. Sans compter les "gros mots" qu'elle
pouvait sortir quand elle s'énervait. Par délicatesse pour ma belle-mère et
pour qu'elle soit tranquille pendant la journée, j'avais fait installer un perchoir
a la porte d'entrée de mon secrétariat. Elle pris l'habitude de saluer les
visiteurs d'un "bonjour! Ca va coco?", mais elle avait ses
"tetes". Elle connaissait le prénom de certains Ministres,
d'officiers de la Garde Présidentielle, du personnel de nos appartements et
n'hésitait pas a les appeler quand ils passaient dans le couloir de mes
bureaux. Personne n'y échappait.
Un matin que Luc Désir, Chef du Service Secret, passait dans
le couloir, Baby Blue s'est mise à hurler: "Michele! Amwey! Michele! Amwey!".
Je sortis précipitamment voir ce qui se passait. Je trouvai Baby Blue évanouie.
Je l'ai prise tout de suite dans mes bras. Elle respirait a peine et son petit cœur
battait si fort que je fis venir le vétérinaire et Rudy. Ce dernier m'expliqua
qu'elle avait peur des gens habillés tout de noir et qu'elle faisait une crise
de panique. Je me retournai pour saluer Luc Désir qui était très embarrassé de
la scène qu'il avait provoqué sans le vouloir et je me rendis compte qu'il
portait toujours un costume noir, la cravate noire et son fameux chapeau de
feutre noir quelle que soit la circonstance. Quand plus tard, je racontai
l'incident a Jean Claude, il eut un tel fou rire qu'il appela Luc Désir au
téléphone et lui dit sur le ton de la plaisanterie, que s'il voulait enrôler
Baby Blue dans les Services Secrets, il faudrait qu'il change de couleur de
costume et de chapeau. Dès le lendemain, Luc Désir fit un grand détour pour
aller a son bureau qui était situé seulement à quelques mètres du mien pour
éviter de croiser Baby Blue.
Souvent a l'heure du déjeuner, JC passait me chercher a mon
bureau et Baby Blue aimait annoncer son arrivée en criant: "Garde a Vous!
Jean Claude! Michele! Tonton". Et elle ne se taisait que quand JC lui
faisait un petit signe de l'index et elle se posait sur sa main droite, faisait
des petits pas tout le long du bras pour s'installer sur l'épaule de mon mari,
ou elle se pavanait fièrement en lançant des "Garde a Vous!" a chaque
sentinelle postée dans les couloirs jusqu'à l'Officier du Jour. C'était un
sacré caractère qui adorait se donner en spectacle pour le grand plaisir de JC.
Baby Blue fuguait de temps en temps. Sa cage restait ouverte
toute la journée. Elle se baladait a son gré partout et souvent faisait des
visites surprises a JC a ses bureaux qui étaient attenant a nos appartements.
Rusée, elle profitait pour s'y faufiler, des que la porte s'ouvrait. Les
secrétaires, Mesdames Mirabeau et Thermilus s'empressaient de lui ouvrir la
porte du bureau ou se trouvait le Président, par peur de se prendre un coup de
bec. Et dire que je ne débarquais pas au bureau de JCD sans me faire annoncer.
Baby Blue avait tous les droits.
Je me souviendrai toujours de ce matin-là. Jean
Claude devait faire un discours a une importante cérémonie
officielle qui devait se tenir dans le Salon Diplomatique du Palais National en
présence de tous les Corps d'Etat, du Cabinet Ministériel et des Membres du
Corps Diplomatique. On se préparait a s'y rendre et Baby Blue était
particulièrement nerveuse, elle pressentait surement qu'elle ne serait pas de
la partie. Elle tournait en rond et suivait JC pas a pas, de la chambre a la
salle de bains. Une demi heure avant la cérémonie elle accompagna JCD a son
bureau et ne le lâchait pas d'une semelle. Au moment de partir, elle comprit
qu'elle ne viendrait pas avec nous et nous fit une scène en se roulant par
terre, criant et s'arrachant les plumes. J'ai eu le sentiment de voir mon petit
frère Ronald a 3 ans s'agrippant a notre père qui profitait de ma mère partie
en voyage, pour aller visiter une de ses nombreuses conquêtes féminines! Le
spectacle était ahurissant mais émouvant! Ce n'était plus de l'amour, mais de
la rage. Mais JC en était tout fier et ému. Arrivés au Salon Diplomatique, et
après l'Hymne Présidentiel d'usage, nous nous installames et la cérémonie
commença. Jean Claude prit a son tour la parole pour clôturer la cérémonie. Les
5 premières minutes de son discours se passaient bien quand subitement, on
entendit une voix aiguë venant du balcon de nos appartements qui criait: Jean
Claude! Jean Claude! Papa!". Nos invites se regardaient les uns les
autres, mais cela ne semblait nullement perturbe JC qui continuait son
discours. Je demandai discrètement a un officier de vite faire rentrer Baby
Blue dans sa cage. Mais le temps pour le Major Reynold d'arriver a la terrasse
de nos apartements, Baby Blue continuait de crier le nom de Jean Claude qui
venait de terminer son discours. Après les salutations d'usage, j'avais hate de
regagner nos appartements pour la voir. En lieu et place de punition, JC lui
fit plutot des caresses comme pour la féliciter d'avoir egaye une cérémonie
plutot ennuyeuse et interminable.
Quelques mois plus tard, Baby Blue pris ses quartiers au
Ranch de la Croix des Bouquets ou elle se sentait en liberté. Le samedi, elle
adorait faire les Pom Pom Girl lors des matchs de foot entre JC, ses amis dont
Philippe Vorbe et l'équipe adverse composée d'officiers des FADH et de ceux du
Corps des Léopards. Lors d'un match, le Colonel Cazeau qui taclait Jean Claude lequel
avait le ballon aux pieds, Baby Blue très attentive à la scène s'est mise à
crier: "Cazeau! tête chauve!". Le match s'arrêta net. Tous les
footballeurs étaient pliés en deux! C'était l'hilarité!
Je riais tellement que le Colonel Cazeau a cru que j'avais
tout appris a Baby Blue. Par la suite, j'ai su qu'elle avait eue des cours
intensifs avec le Colonel Mondé qui avait un grand sens de l'humour.
Baby Blue décéda quelques années plus tard, tuee par un
chien errant qu'elle avait pris en chasse au ranch.
Jean Claude a vécu une belle histoire d'amour et de
complicité avec Baby Blue.
Michèle Bennett Duvalier
Paris, France
Le 10 Décembre 2016
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