mercredi 14 décembre 2016

Haiti/Education: Rencontre avec Madeleine Begon Fawcett, lanceuse d’alerte-1



Madeleine Begon Fawcett. 
Crédit-Photo: DIASPORAMA-HAITI/CANAL+HAITI
L’éducation est devenue accessible en Haïti depuis Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe. Ils ont mis l’emphase sur le système éducatif. Elle est gratuite. Plusieurs réformes ont eu lieu depuis. En 1946, celle de Dartigue qui dure jusqu’en 1960, forme de grands intellectuels haïtiens. Quelles sont les causes de la faillite constatée du système éducatif de notre société en 2016 ? Pourquoi cet immobilisme chez les intellectuels haïtiens ? Qu’est devenu le nationalisme dans l’éducation ? De retour en Haïti après avoir vécu et étudié au Canada, Madeleine Bégon Fawcett, experte en éducation, nous éclaire.
MAT — Qui est Madeleine Bégon Fawcett ?
 M.B. F. : Madeleine Bégon Fawcett est une éducatrice par choix et par vocation depuis environ 35 ans. Mon premier diplôme d’enseignante, je l’ai obtenu à l’âge de 21 ans. Je suis mère de famille, auteure, dramaturge, metteure en scène qui fait aussi du cinéma à temps perdu. Je suis présentement directrice pédagogique de L’Académie canado-haïtienne à Delmas 33, un projet lancé en 1991, après un séjour en Amérique du Nord qui devait durer une trentaine d’années. Madeleine Bégon Fawcett est une lanceuse d’alerte, une citoyenne consciente, engagée dans la cause de l’Éducation et déterminée à faire bouger les choses.
MAT — Voulez-vous nous faire un résumé du système éducatif en Haïti depuis 1801 ?
 M.B.F. : C‘est une belle grande question sur ce que j’appelle « la douloureuse trajectoire de l’éducation haïtienne à travers les soubresauts de notre histoire ». D’entrée de jeu je reprends ces mots d’un sage chinois qui transcende le temps : « Si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. » Depuis le Code noir qui définissait le statut du nègre chosifié, tous les changements vécus dans le domaine ont été provoqués par les Hommes politiques et les divers intervenants qui selon leurs intérêts, d’une manière ou d’une autre y ont imprimé leurs traces positives ou négatives. Allons-y donc avec « un ranmase » sur ce qui s’appelle à tort le système éducatif haïtien. Je dis bien à tort, car tout système suppose une harmonisation des différents éléments qui en assurent le bon fonctionnement. Ce qui est loin d’être le cas en ce qui concerne le milieu éducatif haïtien.
Un rapide survol du monde éducatif nous indique clairement que les politiciens actuels n’ont rien inventé. Ils ont plutôt contribué à travers le temps, à la dégénérescence de ce qui fut. Pendant la période coloniale, l’accès à l’instruction était interdit. Ceux qui osaient braver ce prescrit risquaient la bastonnade pour les métisses et la pendaison pour les noirs, aidants et apprenants. Vers 1796, Toussaint Bréda initia le premier embryon d’école telle que connue aujourd’hui.
En 1801. Toussaint Louverture ayant accédé au poste de Gouverneur général dota Saint-Domingue de sa toute première Constitution dite autonomiste qui stipula en son article 60 que : « toute personne a la faculté de former des établissements particuliers d’éducation d’instruction pour la jeunesse sous l’autorisation et la surveillance de la commission municipale », instaurant ainsi le premier système éducatif intégré à un projet de gouvernement. Un grand pas, vu la proximité de l’interdiction d’accès séculaire à l’instruction imposée par les colons.
1805. Suite à la proclamation de l’indépendance et l’accession au pouvoir de Jean Jacques Dessalines devenu Empereur, il y eut une nouvelle constitution. Pour cet Homme d’État, deux priorités : la défense nationale et l’éducation, construction de forts et d’écoles. Article 19 : « Dans chaque division militaire, une école publique sera créée pour l’instruction de la jeunesse. » L’instruction pour tous sans distinction de sexe ou de couleur.
1806. La constitution dite de Pétion adoptée par l’Assemblée républicaine convoquée par ce dernier le 27 décembre 1806 s’articulait surtout autour des conflits de pouvoir entre Christophe et Pétion. Elle ne fit aucune mention spéciale de l’enseignement public.
Entre 1806 et 1807, le pays connait des soubresauts politiques, incluant l’assassinat de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines Le Grand, qui aboutirent à sa première scission, avec Henry Christophe dans le Nord, Alexandre Pétion dans l’Ouest soutenu par les Métis du Sud. La Constitution du 9 mars 1807, dite de Christophe, en ses articles 34 et 35 stipulait d’une part : qu’« il sera établi dans chaque division une école centrale et des écoles particulières dans chaque arrondissement ». Ces écoles recevront tous les enfants, spécialement ceux des militaires, pour services rendus à la patrie et d’autre part : « il sera cependant loisible à tout citoyen de tenir des maisons d’éducation particulière. » (Pressoir, 1804 – 1915).
 En 1811. Christophe devint roi et fit écrire une nouvelle constitution dite royale qui consacra sa royauté. Malgré ses tendances despotiques, on doit lui reconnaitre la place prépondérante qu’il accorda à l’instruction des jeunes. Il mit en place un réseau d’établissements scolaires incluant des écoles centrales dans les divisions militaires, des écoles professionnelles ainsi que l’Académie royale. Christophe révéla son potentiel d’Homme d’État soucieux de l’avenir des jeunes qui devront assumer la relève. Ces futurs citoyens devaient tous apprendre un métier pour devenir des cadres, des ouvriers techniques et manuels formés pour participer au développement de leur société. Il était aussi permis aux particuliers de fonder des écoles particulières d’arrondissement, ceci conforte l’article 60 de la Constitution de Toussaint de 1801.
Sous sa royale gouverne, on retrouva quasiment tous les niveaux d’enseignement allant du primaire au secondaire, du professionnel voire même des premières structures d’université.
1816. La Constitution de 1816 est en fait la forme amendée de celle de 1806. Elle fut la première à mentionner l’obligation de l’État face à la scolarisation des enfants. Ils doivent être instruits gratuitement du moins pour tout le cycle de l’enseignement primaire. L’État était responsable du paiement des professeurs ainsi que de la création d’une loi particulière concernant la police des écoles. (Pressoir, 1804-1915). Notre génération n’a donc rien inventé en matière d’obligation et de gratuité scolaire. Un tel prescrit a été matérialisé en 1999 sous l’administration Préval-Alexis et le projet – pilote appelé Programme de Scolarisation universelle (PSU) fut expérimenté dans le Plateau central sous la direction de Paul-Antoine Bien-Aimé, ministre de l’Éducation nationale d’alors.
 Avant sa mort en 1818, Henry Christophe dit le Roi Henri Ier eut ce qu’on peut aujourd’hui appeler une conscientisation hors pair quand on regarde ses nombreuses initiatives dans le domaine de l’éducation. Par ordonnance, il organisa l’instruction publique dans les divisions sous sa juridiction par la création d’une direction royale formée de 15 membres (Pressoir, 1935). Le roi Henri Christophe mit en place des programmes de formation professionnelle pour les filles, une école des arts et métiers destinée aux finissants du primaire. Le Roi Henri Christophe fit par ailleurs venir dans le royaume du Nord des instituteurs de Londres qui fondèrent 11 écoles monitoriales (Pressoir, 1804-1915). (Suite à la prochaine parution de la rubrique)
Crédit: Marie Alice Theard avec / CANAL+HAITI/Le National.

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