vendredi 1 mars 2013

Tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier – Droit de réponse, sans solde d’aucun compte au Nouvelliste d’Haïti.

Tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier

DROIT DE RÉPONSE, SANS SOLDE D’AUCUN COMPTE
 AU NOUVELLISTE D’HAÏTI
Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 25 février 2013
« (…) dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ». (Michel Foucault, « L’ordre du discours », Paris, Gallimard 1971)
« De nouveaux patients, chez qui l’emprise du spectacle aggrave le déni du langage, prétendent « tout faire et tout dire » dans leur vie, mais viennent consulter avec la plainte d’être « creux », « seuls », « incapables d’aimer » : l’interprétation s’adresse alors aux images et sensations avant de conduire les affects aux mots.» (Julia Kristeva, dans « Freud : le débat Onfray-Kristeva », Le Nouvel Observateur, BilioObs 22-04- 2010)
Sur notre bout d’île sinistrée, le vertueux Parti duvaliériste de l’unité nationale (PUN) campe en embuscade… Il côtoie volontiers quelques rares journalistes professant l’art de plaire à l’actuelle déferlante rose-pintade qui, elle, voue un mépris dentu à la presse[1], aux intellectuels et aux écrivains. Dans le contexte haïtien où sévit une sombre sous-culture de l’impunité et qui voit mugir dans la presse une offensive de réhabilitation du dictateur Jean-Claude Duvalier, j’ai pris le parti de m’exprimer publiquement au moyen d’une « Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le NouvellisteLA TENTATIVE DE RÉHABILITATION DE JEAN-CLAUDE DUVALIER EST UN FLAGRANT DÉNI DE JUSTICE[2] ». Quelques jours plus tard, alors même que ma lettre ouverte n’avait toujours pas été publiée par Le Nouvelliste, son sympathique et besogneux rédacteur en chef, se croyant en son plein droit de me faire la leçon dans le lourd dossier des plaintes contre Jean-Claude Duvalier, détenteur depuis peu d’un passeport diplomatique, signe un bien étrange papier. Baroudeur fourmillant à la tâche, il publie en effet dans l’édition du 21 février 2013 l’article « À Robert Berrouët-Oriol en solde de tout compte » (http://lenouvelliste.com/article4.php). Généreux, il enfonce la politesse en me conseillant d’éviter de « jouer à la victime sur un sujet aussi grave que l’affaire Duvalier».

L’ « affaire » Duvalier, ainsi dénommée comme pour signifier « l’archéologie du silence » dont parle Isabel Saint-Saëns (Vacarme 13, 2000) ? Il y aurait donc une « affaire » Duvalier –sorte d’ « exclusion du discours historique et commémoratif[3] »–, plutôt que le rendez-vous exemplaire et tant attendu du nazillon, le 21 février 2013, avec la justice d’une Haïti encore laminée, cadenassée par les effets durables d’un régime duvaliériste hautement spécialisé dans les crimes d’État, les disparitions, le vol à grande échelle des fonds de l’État, la répression sélective et de masse, bref, la perduration d’un système totalitaire mis en place par le sinistre François Duvalier et perpétué par son fils-président-à-vie ? Trop empressé à vouloir laisser entendre au lecteur du Nouvelliste que je m’attarde à « jouer à la victime sur un sujet aussi grave que l’affaire Duvalier », le rédacteur en chef du Nouvelliste qui,  par deux  fois, a récemment donné la parole à un ténorino duvaliériste ami du sérail, tente, au moyen d’un artifice administratif, d’évacuer l’essentiel : le dictateur Jean-Claude Duvalier doit impérativement être jugé, en terre haïtienne ou par-devant une instance internationale. Tel est le fond d’un embrouillement, au départ communicationnel, mais à l’arrivée d’ordre politique, que Frantz Duval s’affaire à vouloir déporter dans le contexte de gestion rose-pintade d’un pouvoir d’État néo-duvaliériste et du « tout moun jwenn »… Alors, dans un pays où les Blackberry flambants neufs sont la coqueluche de chacun et de monsieur Untel et des journalistes, il y a lieu de donner sereinement l’heure juste au rédacteur en chef du Nouvelliste tout en communiquant à ses lecteurs la vérité des faits.
 
ACTE UN 

Par courriels datés des 3 et 4 février 2013, j’ai offert bénévolement au Nouvelliste une étude ayant pour titre « Questions de terminologie – DU « SPONSOR » AU «COMMANDITAIRE » : FENÊTRE OUVERTE SUR LA TRADUCTOLOGIE CRÉOLE ». Aucune réponse, aucun accusé de réception, même de première politesse –denrée qui semble désormais si rare en Haïti–, n’a suivi ces envois. N’ayant eu aucun retour de correspondance de la rédaction du journal et n’étant lié par aucun accord d’exclusivité avec Le Nouvelliste, j’ai fait publier mon texte sur de nombreux sites en Haïti et outre-mer. Mon objectif était de partager le fruit de mes recherches avec les lecteurs du journal sans pour autant être suspendu au bon vouloir de ses décideurs. Et comme le dit bien Frantz Duval, Le Nouvelliste est libre d’accepter ou de refuser un texte, il est libre aussi de le signifier ou de pas le signifier : c’est son droit, que je reconnais sans équivoque. Entreprise privée essentiellement commerciale, Le Nouvelliste n’a de compte (de conte ?) à rendre à quiconque quant à ses choix éditoriaux. Mais au chapitre même de la liberté d’expression –que je n’autorise pas Frantz Duval à me nier–, n’importe quel lecteur critique a le droit d’interroger publiquement les choix éditoriaux du Nouvelliste, jusques et y compris toute forme feutrée, non dite ou par défaut, de censure –notamment politique. Ce droit s’éclaire, en ce qui me concerne, d’une bonne connaissance du milieu journalistique haïtien… Et Frantz Duval sait comme moi que dans le sérail des médias locaux, à l’aune des motifs guidant le choix des articles, nul n’est dupe s’il ne consent pas à l’être…

ACTE DEUX 

Dans le contexte général d’une tentative de réhabilitation du nazillon haïtien, par deux fois, coup sur coup, Le Nouvelliste, libre de ses choix éditoriaux, a librement donné la parole à Arthur V. CALIXTE, duvaliériste et tonton-macoute notoire, homme de main des Duvalier père et fils. D’abord dans son édition du 8 février 2013, en autorisant, sans mise en garde de la rédaction, la publication d’un article mystificateur et négationniste : « Jean-Claude Duvalier, la grande victime de l’histoire » (http://www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=113360). Ensuite en accueillant, encore une fois sans mise en garde de la rédaction, une récidive du même Arthur V. CALIXTE dans son édition du 18 février 2013, récidive qui porte le titre « L’inculpé Jean-Claude Duvalier » (http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=113505).

Entre ces deux dates, soit le 8 et le 18 février 2013, j’ai offert bénévolement au journal ma « Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le NouvellisteLA TENTATIVE DE RÉHABILITATION DE JEAN-CLAUDE DUVALIER EST UN FLAGRANT DÉNI DE JUSTICE ». Cet article, qui prend le contre-pied de la propagande ouvertement duvaliériste affichée dans Le Nouvelliste par Arthur V. CALIXTE, est daté  du 13 février 2013 et il a été transmis à 4 responsables du journal par courriel le même jour. Mais le rédacteur en chef du Nouvelliste ainsi que ses collaborateurs n’auraient, semble-t-il, ni reçu mon texte ni eu à l’accepter ou à le refuser… Mystérieuse alexie, à l’ère d’Internet… En réalité, et comme pour mon étude terminologique datée du 7 février 2013 mais expédiée par courriel le 3 du même mois, aucune réponse, aucun accusé de réception, même de première politesse, n’a suivi l’envoi de ma « Lettre ouverte au Nouvelliste ». Compte-tenu de l’offensive de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier déclenchée par certains zélateurs et de sa proximité avec la date de comparution du nazillon devant la justice, le 21 février 2013, et n’étant lié par aucun accord d’exclusivité avec Le Nouvelliste, j’ai fait publier mon texte sur de nombreux sites en Haïti et outre-mer. À l’ère de la communication instantanée, de la disponibilité d’Internet, les déplacements du rédacteur en chef ou de ses collaborateurs n’excusent et ne justifient rien : à preuve, Le Nouvelliste a bel et bien publié le 18 février 2013 une récidive d’Arthur V. CALIXTE alors même que ma réplique s’empoussiérait dans les tiroirs du journal. Ainsi donc, contrairement à ce qu’affirme le rédacteur en chef du Nouvelliste, il s’agit bel et bien d’une censure de nature politique, et tel est l’enjeu au sujet duquel je m’exprime librement : ma protestation publique contre la tentative de réhabilitation du nazillon Jean-Claude Duvalier, étalée dans les pages du Nouvelliste, a bel et bien été censurée. Et Frantz Duval est libre d’y voir et de m’attribuer, comme en son miroir, une « obsession » ou toute autre dérive de la pensée critique tandis que Le Nouvelliste, libre de ses choix éditoriaux, a librement choisi de censurer mon article tout en redonnant la parole à un tonton-macoute à la manœuvre pour camper, dans un élan de gâteuse bigoterie, un ovni étiqueté « dictateur progressiste ». Mais sur notre bout d’île sinistrée, personne n’est dupe, et les nombreux courriels que j’ai reçus d’Haïti et d’ailleurs suite à la très large diffusion de ma « Lettre ouverte au Nouvelliste »  l’attestent de manière explicite.

ACTE TROIS

 Spécieux, « l’argumentaire » de Frantz Duval dans son article « À Robert Berrouët-Oriol en solde de tout compte » tente de faire croire que je me serais posé en « victime » qui, pire, serait « obsédé(e) » par une censure imaginaire. La publication ou la censure du présent « Droit de réponse » dans Le Nouvelliste saura à nouveau signifier, pour tous les lecteurs, l’étendue et l’objectif d’une anastasie politique,  imaginaire ou réelle… Je le précise clairement : face à la tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier, face à l’impératif de le traduire en justice, il ne s’agit pas ici de ma modeste personne ni d’un coup de sang contre un interdit identifiable dont on voit bien, en Haïti, les finalités non dites. Me tenant loin de toute vaine polémique avec Le Nouvelliste –dont certains esprits chagrins sinon frileux du débat public voudront avec légèreté me faire grief–, je n’hésite pourtant pas à questionner publiquement ce journal : l’air du temps n’est-il pas aux trémolos rose-pintade des protées tondus et talentueux ? En interpellant et en questionnant publiquement certain choix éditorial du Nouvelliste, hormis un constat fondé de censure, j’affirme que je ne suis victime de quoi que ce soit. Et gloser à ce chapitre revient à détourner l’attention des lecteurs du vrai débat, aujourd’hui, en Haïti. Contre l’amnésie collective programmée, l’enjeu, essentiel, est de donner librement la parole aux vraies, aux nombreuses victimes du système totalitaire des Duvalier au cours d’un procès[4] public, juste et équitable. L’enjeu est le droit des Haïtiens de récuser publiquement l’impunité, de réclamer et d’obtenir justice, acte premier de l’établissement d’un État de droit sur les ruines de Fort-Dimanche. Rien de moins. La parodie caraïte, à géométrie variable, que m’adresse le rédacteur en chef du Nouvelliste ne devrait pas servir à déporter la voix des vraies victimes du système totalitaire des Duvalier père et fils.

Ma vieille collaboration avec Le Nouvelliste, par des textes de haute qualité, remonte aux années 1990 tandis que j’enseignais à la Faculté de linguistique de l’Université d’État d’Haïti et à l’Université Quisqueya, avant même que Frantz Duval n’arrive « aux affaires ». Une collaboration constructive, verticale et enthousiaste, hors toute sous-culture négationniste et loin de toute censure politique. Dans ce contexte j’ai également contribué à animer des séminaires de formation pour de jeunes journalistes haïtiens, dont j’ai appris à respecter le dur labeur, et je garde de ce compagnonnage le souvenir que le respect mutuel, la liberté de penser et la liberté de parole sont des socles sur lesquels s’arriment l’esprit critique ainsi que le refus de la pensée unique et de son pendant réducteur, l’esprit clanique. Y voir, à coup sûr, un baromètre dans le long tissage de l’État de droit en Haïti. Parole de Poète !


Le Linguiste et terminologue, Robert Berrouët-Oriol
L’AUTEUR – Robert Berrouët Oriol, linguiste-terminologue, poète et critique littéraire, est l’auteur de la première étude théorique portant sur « Les écritures migrantes et métisses au Québec » (Littéréalité, Toronto, et Quebec Studies, Ohio, 1992). Son avant-dernière oeuvre littéraire, « Poème du décours » (Éditions Triptyque, Montréal 2010), finaliste du Prix du Carbet et du Tout-Monde, a obtenu en France le Prix de poésie du Livre insulaire Ouessant 2010. Ancien enseignant à la Faculté de linguistique d’Haïti, il est également coordonnateur et coauteur du livre de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » — Éditions du Cidihca, Montréal, et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011. En reconnaissance de la qualité de son oeuvre poétique, le Conseil des Art du Canada a désigné Robert Berrouët Oriol, en 2012, membre du jury du prestigieux Prix de poésie du Gouverneur général du Canada, section langue française. Nouvelle oeuvre de fiction poétique, aux Éditions Triptyque, en librairie à Montréal depuis le 30 janvier 2013 : « DÉCOUDRE LE DÉSASTRE suivi de L’ÎLE ANAPHORE »



[2] Cette lettre ouverte est parue au fil des jours sur 19 sites,  en Haïti et outre-mer, entre autres dans Potomitan

[3] Birgit Mertz-Baumgartner : « Mémoires migrantes, mémoires croisées », dans La migrance à l‘œuvre. Repérages esthétiques, éthiques et politiques. Sous la direction de Michael Brophy et Mary Gallagher. Peter Lang Éd., Berne 2011


Crédit: Robert Berrouët-Oriol/CANAL+HAÏTI/DIASPORAMA-HAITI

email(courriels): canalplushaiti@yahoo.fr / tradutexte.inter@hotmail.com
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