DROIT DE RÉPONSE, SANS SOLDE D’AUCUN COMPTE
AU NOUVELLISTE D’HAÏTI
Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 25 février 2013
« (…) dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ». (Michel Foucault, « L’ordre du discours », Paris, Gallimard 1971)
« De nouveaux patients, chez qui l’emprise du spectacle aggrave le déni du langage, prétendent « tout faire et tout dire » dans leur vie, mais viennent consulter avec la plainte d’être « creux », « seuls », « incapables d’aimer » : l’interprétation s’adresse alors aux images et sensations avant de conduire les affects aux mots.» (Julia Kristeva, dans « Freud : le débat Onfray-Kristeva », Le Nouvel Observateur, BilioObs 22-04- 2010)
Sur notre bout d’île sinistrée, le
vertueux Parti duvaliériste de l’unité nationale (PUN) campe en
embuscade… Il côtoie volontiers quelques rares journalistes professant
l’art de plaire à l’actuelle déferlante rose-pintade qui, elle, voue un
mépris dentu à la presse[1],
aux intellectuels et aux écrivains. Dans le contexte haïtien où sévit
une sombre sous-culture de l’impunité et qui voit mugir dans la presse
une offensive de réhabilitation du dictateur Jean-Claude Duvalier, j’ai
pris le parti de m’exprimer publiquement au moyen d’une « Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le Nouvelliste – LA TENTATIVE DE RÉHABILITATION DE JEAN-CLAUDE DUVALIER EST UN FLAGRANT DÉNI DE JUSTICE[2] ».
Quelques jours plus tard, alors même que ma lettre ouverte n’avait
toujours pas été publiée par Le Nouvelliste, son sympathique et
besogneux rédacteur en chef, se croyant en son plein droit de me faire
la leçon dans le lourd dossier des plaintes contre Jean-Claude Duvalier,
détenteur depuis peu d’un passeport diplomatique, signe un bien étrange
papier. Baroudeur fourmillant à la tâche, il publie en effet dans
l’édition du 21 février 2013 l’article « À Robert Berrouët-Oriol en solde de tout compte » (http://lenouvelliste.com/article4.php). Généreux, il enfonce la politesse en me conseillant d’éviter de « jouer à la victime sur un sujet aussi grave que l’affaire Duvalier».
L’ « affaire » Duvalier, ainsi dénommée comme pour signifier « l’archéologie du silence » dont parle Isabel Saint-Saëns (Vacarme 13, 2000) ? Il y aurait donc une « affaire » Duvalier –sorte d’ « exclusion du discours historique et commémoratif[3]
»–, plutôt que le rendez-vous exemplaire et tant attendu du nazillon,
le 21 février 2013, avec la justice d’une Haïti encore laminée,
cadenassée par les effets durables d’un régime duvaliériste hautement
spécialisé dans les crimes d’État, les disparitions, le vol à grande
échelle des fonds de l’État, la répression sélective et de masse, bref,
la perduration d’un système totalitaire mis en place par le sinistre
François Duvalier et perpétué par son fils-président-à-vie ? Trop
empressé à vouloir laisser entendre au lecteur du Nouvelliste que je
m’attarde à « jouer à la victime sur un sujet aussi grave que l’affaire Duvalier », le rédacteur en chef du Nouvelliste qui, par deux fois, a récemment donné la parole à un ténorino duvaliériste ami du sérail, tente, au moyen d’un artifice administratif, d’évacuer l’essentiel : le dictateur Jean-Claude Duvalier doit impérativement être jugé, en terre haïtienne ou par-devant une instance internationale.
Tel est le fond d’un embrouillement, au départ communicationnel, mais à
l’arrivée d’ordre politique, que Frantz Duval s’affaire à vouloir
déporter dans le contexte de gestion rose-pintade d’un pouvoir d’État
néo-duvaliériste et du « tout moun jwenn »… Alors, dans un pays
où les Blackberry flambants neufs sont la coqueluche de chacun et de
monsieur Untel et des journalistes, il y a lieu de donner sereinement
l’heure juste au rédacteur en chef du Nouvelliste tout en communiquant à
ses lecteurs la vérité des faits.
ACTE UN
Par courriels datés des 3 et 4 février 2013, j’ai offert bénévolement au Nouvelliste une étude ayant pour titre « Questions de terminologie – DU « SPONSOR » AU «COMMANDITAIRE » : FENÊTRE OUVERTE SUR LA TRADUCTOLOGIE CRÉOLE ».
Aucune réponse, aucun accusé de réception, même de première politesse
–denrée qui semble désormais si rare en Haïti–, n’a suivi ces envois.
N’ayant eu aucun retour de correspondance de la rédaction du journal et
n’étant lié par aucun accord d’exclusivité avec Le Nouvelliste, j’ai
fait publier mon texte sur de nombreux sites en Haïti et outre-mer. Mon
objectif était de partager le fruit de mes recherches avec les lecteurs
du journal sans pour autant être suspendu au bon vouloir de ses
décideurs. Et comme le dit bien Frantz Duval, Le Nouvelliste est libre
d’accepter ou de refuser un texte, il est libre aussi de le signifier ou
de pas le signifier : c’est son droit, que je reconnais sans équivoque.
Entreprise privée essentiellement commerciale, Le Nouvelliste n’a de
compte (de conte ?) à rendre à quiconque quant à ses choix éditoriaux.
Mais au chapitre même de la liberté d’expression –que je n’autorise pas
Frantz Duval à me nier–, n’importe quel lecteur critique a le droit
d’interroger publiquement les choix éditoriaux du Nouvelliste, jusques
et y compris toute forme feutrée, non dite ou par défaut, de censure
–notamment politique. Ce droit s’éclaire, en ce qui me concerne, d’une
bonne connaissance du milieu journalistique haïtien… Et Frantz Duval
sait comme moi que dans le sérail des médias locaux, à l’aune des motifs
guidant le choix des articles, nul n’est dupe s’il ne consent pas à
l’être…
ACTE DEUX
Dans le contexte général d’une tentative
de réhabilitation du nazillon haïtien, par deux fois, coup sur coup, Le
Nouvelliste, libre de ses choix éditoriaux, a librement donné la parole
à Arthur V. CALIXTE, duvaliériste et tonton-macoute notoire, homme de main des Duvalier père et fils. D’abord dans son édition du 8 février 2013, en autorisant, sans mise en garde de la rédaction, la publication d’un article mystificateur et négationniste : « Jean-Claude Duvalier, la grande victime de l’histoire » (http://www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=113360). Ensuite en accueillant, encore une fois sans mise en garde de la rédaction, une récidive du même Arthur V. CALIXTE dans son édition du 18 février 2013, récidive qui porte le titre « L’inculpé Jean-Claude Duvalier » (http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=113505).
Entre ces deux dates, soit le 8 et le 18 février 2013, j’ai offert bénévolement au journal ma « Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le Nouvelliste – LA TENTATIVE DE RÉHABILITATION DE JEAN-CLAUDE DUVALIER EST UN FLAGRANT DÉNI DE JUSTICE ».
Cet article, qui prend le contre-pied de la propagande ouvertement
duvaliériste affichée dans Le Nouvelliste par Arthur V. CALIXTE, est
daté du 13 février 2013 et il a été transmis à 4 responsables du
journal par courriel le même jour. Mais le rédacteur en chef du
Nouvelliste ainsi que ses collaborateurs n’auraient, semble-t-il, ni
reçu mon texte ni eu à l’accepter ou à le refuser… Mystérieuse alexie,
à l’ère d’Internet… En réalité, et comme pour mon étude terminologique
datée du 7 février 2013 mais expédiée par courriel le 3 du même mois,
aucune réponse, aucun accusé de réception, même de première politesse,
n’a suivi l’envoi de ma « Lettre ouverte au Nouvelliste
». Compte-tenu de l’offensive de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier
déclenchée par certains zélateurs et de sa proximité avec la date de
comparution du nazillon devant la justice, le 21 février 2013, et
n’étant lié par aucun accord d’exclusivité avec Le Nouvelliste, j’ai
fait publier mon texte sur de nombreux sites en Haïti et outre-mer. À
l’ère de la communication instantanée, de la disponibilité d’Internet,
les déplacements du rédacteur en chef ou de ses collaborateurs
n’excusent et ne justifient rien : à preuve, Le Nouvelliste a bel et
bien publié le 18 février 2013 une récidive d’Arthur V. CALIXTE alors
même que ma réplique s’empoussiérait dans les tiroirs du journal. Ainsi
donc, contrairement à ce qu’affirme le rédacteur en chef du
Nouvelliste, il s’agit bel et bien d’une censure de nature politique, et tel est l’enjeu au sujet duquel je m’exprime librement
: ma protestation publique contre la tentative de réhabilitation du
nazillon Jean-Claude Duvalier, étalée dans les pages du Nouvelliste, a
bel et bien été censurée. Et Frantz Duval est libre d’y voir et de
m’attribuer, comme en son miroir, une « obsession » ou toute
autre dérive de la pensée critique tandis que Le Nouvelliste, libre de
ses choix éditoriaux, a librement choisi de censurer mon article tout en
redonnant la parole à un tonton-macoute à la manœuvre pour camper, dans
un élan de gâteuse bigoterie, un ovni étiqueté « dictateur
progressiste ». Mais sur notre bout d’île sinistrée, personne n’est
dupe, et les nombreux courriels que j’ai reçus d’Haïti et d’ailleurs
suite à la très large diffusion de ma « Lettre ouverte au Nouvelliste » l’attestent de manière explicite.
ACTE TROIS
Spécieux, « l’argumentaire » de Frantz Duval dans son article « À Robert Berrouët-Oriol en solde de tout compte » tente de faire croire que je me serais posé en « victime » qui, pire, serait « obsédé(e) » par une censure imaginaire. La publication ou la censure du présent « Droit de réponse » dans Le Nouvelliste saura à nouveau signifier, pour tous les lecteurs, l’étendue et l’objectif d’une anastasie politique,
imaginaire ou réelle… Je le précise clairement : face à la tentative
de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier, face à l’impératif de le
traduire en justice, il ne s’agit pas ici de ma modeste personne ni d’un
coup de sang contre un interdit identifiable dont on voit bien, en
Haïti, les finalités non dites. Me tenant loin de toute vaine polémique
avec Le Nouvelliste –dont certains esprits chagrins sinon frileux du
débat public voudront avec légèreté me faire grief–, je n’hésite
pourtant pas à questionner publiquement ce journal : l’air du temps
n’est-il pas aux trémolos rose-pintade des protées tondus et talentueux ?
En interpellant et en questionnant publiquement certain choix éditorial
du Nouvelliste, hormis un constat fondé de censure, j’affirme que je ne
suis victime de quoi que ce soit. Et gloser à ce chapitre revient à
détourner l’attention des lecteurs du vrai débat, aujourd’hui, en Haïti.
Contre l’amnésie collective programmée, l’enjeu, essentiel, est
de donner librement la parole aux vraies, aux nombreuses victimes du
système totalitaire des Duvalier au cours d’un procès[4] public, juste et équitable. L’enjeu
est le droit des Haïtiens de récuser publiquement l’impunité, de
réclamer et d’obtenir justice, acte premier de l’établissement d’un État
de droit sur les ruines de Fort-Dimanche. Rien de moins. La
parodie caraïte, à géométrie variable, que m’adresse le rédacteur en
chef du Nouvelliste ne devrait pas servir à déporter la voix des vraies
victimes du système totalitaire des Duvalier père et fils.
Ma vieille collaboration avec Le
Nouvelliste, par des textes de haute qualité, remonte aux années 1990
tandis que j’enseignais à la Faculté de linguistique de l’Université
d’État d’Haïti et à l’Université Quisqueya, avant même que Frantz Duval
n’arrive « aux affaires ». Une collaboration constructive,
verticale et enthousiaste, hors toute sous-culture négationniste et loin
de toute censure politique. Dans ce contexte j’ai également contribué à
animer des séminaires de formation pour de jeunes journalistes
haïtiens, dont j’ai appris à respecter le dur labeur, et je garde de ce
compagnonnage le souvenir que le respect mutuel, la liberté de penser et
la liberté de parole sont des socles sur lesquels s’arriment l’esprit
critique ainsi que le refus de la pensée unique et de son pendant
réducteur, l’esprit clanique. Y voir, à coup sûr, un baromètre dans le
long tissage de l’État de droit en Haïti. Parole de Poète !
Le Linguiste et terminologue, Robert Berrouët-Oriol |
L’AUTEUR – Robert Berrouët Oriol,
linguiste-terminologue, poète et critique littéraire, est l’auteur de la
première étude théorique portant sur « Les écritures migrantes et
métisses au Québec » (Littéréalité, Toronto, et Quebec Studies, Ohio,
1992). Son avant-dernière oeuvre littéraire, « Poème du décours »
(Éditions Triptyque, Montréal 2010), finaliste du Prix du Carbet et du
Tout-Monde, a obtenu en France le Prix de poésie du Livre insulaire
Ouessant 2010. Ancien enseignant à la Faculté de linguistique d’Haïti,
il est également coordonnateur et coauteur du livre de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions »
— Éditions du Cidihca, Montréal, et Éditions de l’Université d’État
d’Haïti, 2011. En reconnaissance de la qualité de son oeuvre poétique,
le Conseil des Art du Canada a désigné Robert Berrouët Oriol, en 2012,
membre du jury du prestigieux Prix de poésie du Gouverneur général du
Canada, section langue française. Nouvelle oeuvre de fiction poétique,
aux Éditions Triptyque, en librairie à Montréal depuis le 30 janvier
2013 : « DÉCOUDRE LE DÉSASTRE suivi de L’ÎLE ANAPHORE »
[2] Cette lettre ouverte est parue au fil des jours sur 19 sites, en Haïti et outre-mer, entre autres dans Potomitan
[3] Birgit Mertz-Baumgartner : « Mémoires migrantes, mémoires croisées », dans La migrance à l‘œuvre. Repérages esthétiques, éthiques et politiques. Sous la direction de Michael Brophy et Mary Gallagher. Peter Lang Éd., Berne 2011
[4] Voir le dossier de la Human Rights Watch : « Haïti, un rendez-vous avec l’histoire – Les poursuites contre Jean-Claude Duvalier ». Lien pour consulter ce dossier
email(courriels): canalplushaiti@yahoo.fr / tradutexte.inter@hotmail.com
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