Written on:juillet 15, 2012 
Cher Frantz,
  J’ai été surprise de lire la lettre de Mme Siméon nous faisant 
part de traitements qui lui ont été infligés dans un certain commerce de
 Pétion-Ville où les Blancs, eux, sont des privilégiés. Serait-il 
possible qu’on en soit encore là en Haïti? J’ai quitté le pays depuis 
plus de 32 ans. Après les nombreuses épreuves qu’il a subies pendant 
toutes ces années, après le terrible tremblement de terre, on se dit que
 les Haïtiens ont changé, qu’il ne peut en être autrement. Mais pourquoi
 s’étonner, après tout. Malgré la Shoah il y a encore des néo-nazis! Les
 humains auront toujours besoin de se sentir supérieurs à d’autres!  Le 
plus facile pour eux c’était, bien sûr, de donner à la femme un statut 
inférieur. Cela a duré des millénaires et est encore très actuel dans 
certains pays. Les Blancs ont pu se sentir supérieurs aux nègres qu’ils 
ont colonisés. Les personnes de couleur, elles, ont vu dans les 
différentes nuances de leur peau, l’occasion de se distinguer des noirs 
authentiques et d’y trouver un avantage. La chose existe aussi en Inde 
où certains ont des tons plus foncés que d’autres.
  Tout étant à refaire en Haïti, pourquoi n’a t-on pas une 
instance où des procédés tels que ceux racontés par Mme Siméon seraient 
rapportés? Cela existe au Québec. On peut se plaindre quand on a été 
victime de discrimination due à la couleur de sa peau et quelquefois on a
 droit à un dédommagement. Les actes racistes ne sont pas impunis ici.
 Il me semble qu’avec le Président Dumarsais Estimé et surtout le
 Président Paul Magloire les choses avaient beaucoup changé. Il existait
 encore des différences de classe, mais pas de couleur. Les noirs 
instruits et nantis fréquentaient la bourgeoisie généralement à peau 
claire. Donc il y aurait en 2012 un retour de cette plaie propre aux 
pays où des Blancs ont fait des enfants à des Noires d’où une grande 
variété de couleurs de peau, depuis le presque blanc et toutes sortes de
 « dégradés » dans le ton, accompagnée de  différents degrés dans la 
texture des cheveux: soyeux, frisés, crêpus ou franchement « gridape »? 
Quel dommage! Haïti n’arrivera à rien du tout sans la solidarité. Il est
 temps que les gens de ce pays en soient convaincus. Je me permets de me
 citer: « Ces cons ne déplaceront pas une pierre du chemin s’ils pensent
 que ça fera l’affaire du voisin. Egoïstes jusqu’à la bêtise, voilà 
comment ils sont. Et cette maladie semble incurable ». (Le Sexe 
Mythique, 1975)  J’étais en colère et je ne ménageais pas mes mots. Je 
souhaite vivement que les nouvelles générations me prouvent que ce que 
j’écrivais il y a 37 ans n’est plus vrai.
 Je me trompe peut-être. Mais il me semble que l’affluence de ONG
 en Haïti est un peu responsable de cette régression. Il y a maintenant 
beaucoup de Blancs dans le pays et ces Blancs sont bien nantis. Ils sont
 bien plus intéressants à courtiser que le menu fretin indigène.  J’ai à
 ce sujet un souvenir plutôt déplaisant. Mon grand-père Raphaël Brouard 
avait un magasin à la Grand-Rue : »Aux Armes de Paris ». Un beau jour, 
un certain Henri Deschamp s’est installé presque en face, avec à peu 
près le même genre de commerce. Les Haïtiens préférant acheter chez le 
« blanc », le magasin de mon grand-père a périclité et finalement a dû 
fermer. Il était déjà vieux et incapable de s’adapter à cette nouvelle 
donne. Cela ne m’a pas empêché d’être l’amie de la dernière fille de ce 
commerçant, au temps où nous étions compagne de classe, chez les sœurs 
de Sainte-Rose-de Lima.
 J’ai la peau claire, mais je suis tout de même une noire. Jamais
 je ne me suis sentie inférieure à un Blanc. Il faut avoir conscience de
 sa valeur en tant qu’être humain et ne pas se laisser impressionner par
 le mépris ou le dédain de qui que ce soit. La richesse, le rang social,
 les diplômes d’un individu ne m’impressionnent pas. Seule compte pour 
moi sa valeur personnelle, celle que peut avoir le plus humble individu.
 Cependant, je pense qu’il faut s’efforcer de battre les Blancs sur leur
 propre terrain, quand on le peut.
Nadine Magloire
Courriel: nadine_magloire@yahoo.ca

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