mardi 5 mars 2013

Lettre de Montréal – 6 … Adressée à Frantz Voltaire.

Written on:juillet 15, 2012

Cher Frantz,

  J’ai été surprise de lire la lettre de Mme Siméon nous faisant part de traitements qui lui ont été infligés dans un certain commerce de Pétion-Ville où les Blancs, eux, sont des privilégiés. Serait-il possible qu’on en soit encore là en Haïti? J’ai quitté le pays depuis plus de 32 ans. Après les nombreuses épreuves qu’il a subies pendant toutes ces années, après le terrible tremblement de terre, on se dit que les Haïtiens ont changé, qu’il ne peut en être autrement. Mais pourquoi s’étonner, après tout. Malgré la Shoah il y a encore des néo-nazis! Les humains auront toujours besoin de se sentir supérieurs à d’autres!  Le plus facile pour eux c’était, bien sûr, de donner à la femme un statut inférieur. Cela a duré des millénaires et est encore très actuel dans certains pays. Les Blancs ont pu se sentir supérieurs aux nègres qu’ils ont colonisés. Les personnes de couleur, elles, ont vu dans les différentes nuances de leur peau, l’occasion de se distinguer des noirs authentiques et d’y trouver un avantage. La chose existe aussi en Inde où certains ont des tons plus foncés que d’autres.
  Tout étant à refaire en Haïti, pourquoi n’a t-on pas une instance où des procédés tels que ceux racontés par Mme Siméon seraient rapportés? Cela existe au Québec. On peut se plaindre quand on a été victime de discrimination due à la couleur de sa peau et quelquefois on a droit à un dédommagement. Les actes racistes ne sont pas impunis ici.

 Il me semble qu’avec le Président Dumarsais Estimé et surtout le Président Paul Magloire les choses avaient beaucoup changé. Il existait encore des différences de classe, mais pas de couleur. Les noirs instruits et nantis fréquentaient la bourgeoisie généralement à peau claire. Donc il y aurait en 2012 un retour de cette plaie propre aux pays où des Blancs ont fait des enfants à des Noires d’où une grande variété de couleurs de peau, depuis le presque blanc et toutes sortes de « dégradés » dans le ton, accompagnée de  différents degrés dans la texture des cheveux: soyeux, frisés, crêpus ou franchement « gridape »? Quel dommage! Haïti n’arrivera à rien du tout sans la solidarité. Il est temps que les gens de ce pays en soient convaincus. Je me permets de me citer: « Ces cons ne déplaceront pas une pierre du chemin s’ils pensent que ça fera l’affaire du voisin. Egoïstes jusqu’à la bêtise, voilà comment ils sont. Et cette maladie semble incurable ». (Le Sexe Mythique, 1975)  J’étais en colère et je ne ménageais pas mes mots. Je souhaite vivement que les nouvelles générations me prouvent que ce que j’écrivais il y a 37 ans n’est plus vrai.

 Je me trompe peut-être. Mais il me semble que l’affluence de ONG en Haïti est un peu responsable de cette régression. Il y a maintenant beaucoup de Blancs dans le pays et ces Blancs sont bien nantis. Ils sont bien plus intéressants à courtiser que le menu fretin indigène.  J’ai à ce sujet un souvenir plutôt déplaisant. Mon grand-père Raphaël Brouard avait un magasin à la Grand-Rue : »Aux Armes de Paris ». Un beau jour, un certain Henri Deschamp s’est installé presque en face, avec à peu près le même genre de commerce. Les Haïtiens préférant acheter chez le « blanc », le magasin de mon grand-père a périclité et finalement a dû fermer. Il était déjà vieux et incapable de s’adapter à cette nouvelle donne. Cela ne m’a pas empêché d’être l’amie de la dernière fille de ce commerçant, au temps où nous étions compagne de classe, chez les sœurs de Sainte-Rose-de Lima.

 J’ai la peau claire, mais je suis tout de même une noire. Jamais je ne me suis sentie inférieure à un Blanc. Il faut avoir conscience de sa valeur en tant qu’être humain et ne pas se laisser impressionner par le mépris ou le dédain de qui que ce soit. La richesse, le rang social, les diplômes d’un individu ne m’impressionnent pas. Seule compte pour moi sa valeur personnelle, celle que peut avoir le plus humble individu. Cependant, je pense qu’il faut s’efforcer de battre les Blancs sur leur propre terrain, quand on le peut.



Nadine Magloire
Courriel: nadine_magloire@yahoo.ca

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