En 1978, je me suis retrouvée après 5 ans de mariage,
séparée avec 2 enfants en bas âge, Alix III et Sacha Pasquet. Je dirigeais à
l'époque la section export café et cacao au bureau de la Rue Traversière que je
partageais avec mes parents, Aurore et Ernest Bennett. Un matin le téléphone
sonna et mon interlocuteur demanda à parler à mon père. Ce dernier était en
voyage à Munich en Allemagne au siège de la BMW, l'une des marques de voitures
dont on avait la concession.
- Maison Bennett, Bonjour.
- Bonjour! J'aimerais parler à Ernest svp.
- Mr Bennett est absent. Pourrais-je prendre un message?
- C'est le Président à l'appareil.
- Le Président de quelle banque?
- (Hésitations)... Le Président de la République!
- Bien sûr! Et moi, je suis la Reine d'Angleterre! Monsieur!
Ici, on travaille! Allez faire vos plaisanteries ailleurs!
-Mais je vous dis que c'est le Président!
- Oh là! la! Monsieur! Arrêtez vos plaisanteries ou je
raccroche!
- C'est Michèle?
- (Hésitations)... Oui! C'est bien moi!
- C'est Jean Claude Duvalier, le Président!
- (Hésitations)...Oh! Monsieur le Président! Vous me voyez
désolée! Je suis confuse! J'ai pensé que c'était une plaisanterie. Papa est à
Munich et sera de retour dans 10 jours. SI c'est urgent, je le contacte et lui
demande de vous rappeler dans la journée.
- Michèle, tu peux me tutoyer et m'appeler Jean Claude.
- Oui Monsieur le Président!
- ....Rires....
- Alors comment vas-tu? On s'est perdu de vue depuis le
Collège Bird.
- Tout va bien! Merci Monsieur le Président. J'ai 2 beaux
petits garçons, Alix qui a 4 ans et Sacha 2 ans.
- J'ai ouïe dire que tu divorçais?
- (Hésitations)... Oh non! Monsieur le Président. Tout va
bien. Mon mari est à la maison!
- (Hésitations)...Je suis désolé de cette méprise. J'ai été
mal renseigné. Dis à ton padre de m'appeler à son retour.
En raccrochant le combiné, je m'en suis voulu d'avoir menti
au Président de la République.
J'ai toujours eu le goût du secret depuis très jeune et
Président ou pas, je n'étais pas prête à parler ou à discuter de ma vie privée
ou de mon divorce en cours avec un ancien camarade de classe, que je n'avais
pas vu depuis de longues années et de surcroît le Président de la République.
Dès son accession au pouvoir, Jean Claude consultait
certains hommes d'affaires dont mon père, sur différents dossiers pour avoir
des conseils et comme passionné de belles voitures, il était notre meilleur
client à la SONAVESA.
Je ne pensais plus à cet appel quand un matin que j'étais
seule avec ma mère au bureau, le téléphone sonna et je répondis. C'était le
Président et cette fois-ci, l'appel n'était pas pour mon père mais pour moi.
Nos échanges téléphoniques ont duré un peu plus de 2 mois. Je ne l'appelais
jamais moi-même. Pas par calcul mais j'avais un tel respect pour la fonction
qu'il représentait que je n'osais pas le faire. Mais avais-je vraiment besoin
de l'appeler? Je recevais plus d'une dizaine d'appels de lui à mon bureau ou
chez moi. Mes parents, surtout ma mère, s'inquiétaient et ne comprenaient pas
nos longs échanges téléphoniques. J'avais beau leur expliquer que c'était
purement amical, rien à faire et
je ne pouvais non plus leur dire qu'il me faisait la cour au
téléphone puisque ce n'était pas le cas. Mais c'est vrai que ces nombreux
appels au bureau me mettaient en retard dans mon travail et cela m'était
impossible de le lui dire. Nos conversations pouvaient durer des heures le
soir. On parlait de tout et de rien mais jamais de politique. On se remémorait
nos souvenirs du Collège Bird ou nous étions dans la même classe de la 9eme à
la 7eme. On parlait de nos amis communs, de notre enfance.
Enfin, un jour il me proposa de prendre un verre avec lui
dans sa résidence de Laboule.
Ce que ma mère ne voyait pas d'un bon œil. Jean Claude,
toujours célibataire à 27 ans, avait la réputation d'être un grand coureur de
jupons devant l'Éternel. Comme toutes les mères, elle avait peur du
qu'en-dira-t-on. Mais moi, je n'en avais cure et je me rendis chez lui
accompagnée d'un ami commun. Je portais ce jour-là une jolie robe blanche en
broderie anglaise, décolletée "bateau" près du corps, avec des
sandales beiges à talons. J'avais laissé mes longs cheveux libres sur les
épaules, et je mis des grandes boucles d'oreille de style créole et un très léger
maquillage car je ne voulais pas ressembler à un camion volé. Comme d'
habitude, avant de sortir, je demandais toujours à mes fils comment ils me
trouvaient. C'était un rituel entre nous quand je sortais. Rituel qui perdure
même maintenant avec Nicolas et Anya. Invariablement, Alix et Sacha répondaient
en cœur: "Très jolie maman!". La vérité sort toujours de la bouche
des enfants!
A notre arrivée dans cette maison à Laboule, le Président
nous a accueilli dans un grand salon a baies vitrées où on pouvait admirer le
soleil couchant et la vue sublime sur Laboule, Pétion Ville jusqu'à la plaine.
Je me souviendrai toujours de la façon dont JC était
habillé. C'est comme si on s'était donné le mot. Il portait cette fin d'après-midi-là,
une saharienne blanche à manches longues et des mocassins noirs. Une
montre-bracelet au poignet, un bracelet en or jaune au poignet droit et une
chevalière ornée d'une pierre au petit doigt. Au cou, il portait une petite
chaîne en or ornée d'un pendentif de son signe astrologique Cancer. J'étais un
peu surprise de voir un Président porter autant de bijoux. Et moi qui voulais
faire dans la sobriété en ne portant que des boucles d'oreilles. C’était le
monde à l'envers!
Il était très élégant et n'avait plus rien à voir avec ce
petit camarade de classe en surpoids que j'ai connu sur les bancs de l'école
primaire. Mais il avait garde ce même sourire qui découvrait des dents blanches
dont des canines assez pointues et quand il parlait, sa fossette au menton
bougeait aussi.
J'étais très impressionnée de me retrouver en sa présence
mais je n'en laissais rien paraître. Jean Claude était très à l'aise dans son
rôle d'hôte. Un maître d'hôtel costumé de blanc et cravate noire arriva portant
sur un plateau en argent, une bouteille de champagne dans un sceau et trois
coupes en cristal. Au moment du toast, Je fis semblant d'y tremper les lèvres
ce qui n'échappa pas au Président qui rappela le maître d'hôtel en lui
demandant de ramener une bouteille de Coca Cola. À ce moment-là, devant ma
surprise, il m'a dit en me regardant droit dans les yeux: "Je vois que tu
as gardé tes bonnes habitudes! Toujours à boire du Coca Cola!" Je n'en
revenais pas! Quelle mémoire! Au Collège Bird, a la récréation, il nous offrait
toujours des boissons et moi je prenais toujours du Coca Cola et aussi à la
cantine. Jean Claude avait une mémoire extraordinaire. Il se souvenait de tous
les détails et rien ne lui échappait. J'ai eu droit à ma boisson favorite
servie comme j'aime, sans glaçons et dans un beau verre. Je dis toujours que le
Coca est mon beaujolais du Texas.
Cet après-midi-là, je découvrais en Jean Claude un charmeur.
Le genre d'homme, qui sans vous faire la cour ouvertement, vous écoute avec une
attention soutenue en vous regardant droit dans les yeux et qui vous fait
sentir que vous êtes unique au monde. Quand il parlait, ses mains bougeaient
comme au ralenti et j'ai remarqué que ses doigts étaient manucurés et très
soignés. D'ailleurs nos deux enfants, Nicolas et Anya ont les mêmes jolies
mains comme leur père et ses sœurs Marie-Denise et Simone. On était tellement
heureux de se retrouver après toutes ces années qu'on oublia notre ami commun
qui s'était fait très discret et intervenait rarement dans notre conversation.
Apres 2 bonnes heures à bavarder comme des amis heureux de
se retrouve, je pris congé et en me raccompagnant à la voiture de notre ami,
Jean Claude m'embrassa sur les deux joues en me disant: "A très
vite".
Michèle Bennett Duvalier
Paris, France
Le 15 Janvier 2017
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