dimanche 15 janvier 2017

Haïti/Diasporama : Souvenirs du Palais National de Michèle Bennett Duvalier. 1ère Partie




En 1978, je me suis retrouvée après 5 ans de mariage, séparée avec 2 enfants en bas âge, Alix III et Sacha Pasquet. Je dirigeais à l'époque la section export café et cacao au bureau de la Rue Traversière que je partageais avec mes parents, Aurore et Ernest Bennett. Un matin le téléphone sonna et mon interlocuteur demanda à parler à mon père. Ce dernier était en voyage à Munich en Allemagne au siège de la BMW, l'une des marques de voitures dont on avait la concession.

- Maison Bennett, Bonjour.

- Bonjour! J'aimerais parler à Ernest svp.

- Mr Bennett est absent. Pourrais-je prendre un message?

- C'est le Président à l'appareil.

- Le Président de quelle banque?

- (Hésitations)... Le Président de la République!

- Bien sûr! Et moi, je suis la Reine d'Angleterre! Monsieur! Ici, on travaille! Allez faire vos plaisanteries ailleurs!

-Mais je vous dis que c'est le Président!

- Oh là! la! Monsieur! Arrêtez vos plaisanteries ou je raccroche!

- C'est Michèle?

- (Hésitations)... Oui! C'est bien moi!

- C'est Jean Claude Duvalier, le Président!

- (Hésitations)...Oh! Monsieur le Président! Vous me voyez désolée! Je suis confuse! J'ai pensé que c'était une plaisanterie. Papa est à Munich et sera de retour dans 10 jours. SI c'est urgent, je le contacte et lui demande de vous rappeler dans la journée.

- Michèle, tu peux me tutoyer et m'appeler Jean Claude.

- Oui Monsieur le Président!

- ....Rires....

- Alors comment vas-tu? On s'est perdu de vue depuis le Collège Bird.

- Tout va bien! Merci Monsieur le Président. J'ai 2 beaux petits garçons, Alix qui a 4 ans et Sacha 2 ans.

- J'ai ouïe dire que tu divorçais?

- (Hésitations)... Oh non! Monsieur le Président. Tout va bien. Mon mari est à la maison!

- (Hésitations)...Je suis désolé de cette méprise. J'ai été mal renseigné. Dis à ton padre de m'appeler à son retour.

En raccrochant le combiné, je m'en suis voulu d'avoir menti au Président de la République.

J'ai toujours eu le goût du secret depuis très jeune et Président ou pas, je n'étais pas prête à parler ou à discuter de ma vie privée ou de mon divorce en cours avec un ancien camarade de classe, que je n'avais pas vu depuis de longues années et de surcroît le Président de la République.

Dès son accession au pouvoir, Jean Claude consultait certains hommes d'affaires dont mon père, sur différents dossiers pour avoir des conseils et comme passionné de belles voitures, il était notre meilleur client à la SONAVESA.

Je ne pensais plus à cet appel quand un matin que j'étais seule avec ma mère au bureau, le téléphone sonna et je répondis. C'était le Président et cette fois-ci, l'appel n'était pas pour mon père mais pour moi. Nos échanges téléphoniques ont duré un peu plus de 2 mois. Je ne l'appelais jamais moi-même. Pas par calcul mais j'avais un tel respect pour la fonction qu'il représentait que je n'osais pas le faire. Mais avais-je vraiment besoin de l'appeler? Je recevais plus d'une dizaine d'appels de lui à mon bureau ou chez moi. Mes parents, surtout ma mère, s'inquiétaient et ne comprenaient pas nos longs échanges téléphoniques. J'avais beau leur expliquer que c'était purement amical, rien à faire et

je ne pouvais non plus leur dire qu'il me faisait la cour au téléphone puisque ce n'était pas le cas. Mais c'est vrai que ces nombreux appels au bureau me mettaient en retard dans mon travail et cela m'était impossible de le lui dire. Nos conversations pouvaient durer des heures le soir. On parlait de tout et de rien mais jamais de politique. On se remémorait nos souvenirs du Collège Bird ou nous étions dans la même classe de la 9eme à la 7eme. On parlait de nos amis communs, de notre enfance.

Enfin, un jour il me proposa de prendre un verre avec lui dans sa résidence de Laboule.

Ce que ma mère ne voyait pas d'un bon œil. Jean Claude, toujours célibataire à 27 ans, avait la réputation d'être un grand coureur de jupons devant l'Éternel. Comme toutes les mères, elle avait peur du qu'en-dira-t-on. Mais moi, je n'en avais cure et je me rendis chez lui accompagnée d'un ami commun. Je portais ce jour-là une jolie robe blanche en broderie anglaise, décolletée "bateau" près du corps, avec des sandales beiges à talons. J'avais laissé mes longs cheveux libres sur les épaules, et je mis des grandes boucles d'oreille de style créole et un très léger maquillage car je ne voulais pas ressembler à un camion volé. Comme d' habitude, avant de sortir, je demandais toujours à mes fils comment ils me trouvaient. C'était un rituel entre nous quand je sortais. Rituel qui perdure même maintenant avec Nicolas et Anya. Invariablement, Alix et Sacha répondaient en cœur: "Très jolie maman!". La vérité sort toujours de la bouche des enfants!

A notre arrivée dans cette maison à Laboule, le Président nous a accueilli dans un grand salon a baies vitrées où on pouvait admirer le soleil couchant et la vue sublime sur Laboule, Pétion Ville jusqu'à la plaine.

Je me souviendrai toujours de la façon dont JC était habillé. C'est comme si on s'était donné le mot. Il portait cette fin d'après-midi-là, une saharienne blanche à manches longues et des mocassins noirs. Une montre-bracelet au poignet, un bracelet en or jaune au poignet droit et une chevalière ornée d'une pierre au petit doigt. Au cou, il portait une petite chaîne en or ornée d'un pendentif de son signe astrologique Cancer. J'étais un peu surprise de voir un Président porter autant de bijoux. Et moi qui voulais faire dans la sobriété en ne portant que des boucles d'oreilles. C’était le monde à l'envers!

Il était très élégant et n'avait plus rien à voir avec ce petit camarade de classe en surpoids que j'ai connu sur les bancs de l'école primaire. Mais il avait garde ce même sourire qui découvrait des dents blanches dont des canines assez pointues et quand il parlait, sa fossette au menton bougeait aussi.

J'étais très impressionnée de me retrouver en sa présence mais je n'en laissais rien paraître. Jean Claude était très à l'aise dans son rôle d'hôte. Un maître d'hôtel costumé de blanc et cravate noire arriva portant sur un plateau en argent, une bouteille de champagne dans un sceau et trois coupes en cristal. Au moment du toast, Je fis semblant d'y tremper les lèvres ce qui n'échappa pas au Président qui rappela le maître d'hôtel en lui demandant de ramener une bouteille de Coca Cola. À ce moment-là, devant ma surprise, il m'a dit en me regardant droit dans les yeux: "Je vois que tu as gardé tes bonnes habitudes! Toujours à boire du Coca Cola!" Je n'en revenais pas! Quelle mémoire! Au Collège Bird, a la récréation, il nous offrait toujours des boissons et moi je prenais toujours du Coca Cola et aussi à la cantine. Jean Claude avait une mémoire extraordinaire. Il se souvenait de tous les détails et rien ne lui échappait. J'ai eu droit à ma boisson favorite servie comme j'aime, sans glaçons et dans un beau verre. Je dis toujours que le Coca est mon beaujolais du Texas.

Cet après-midi-là, je découvrais en Jean Claude un charmeur. Le genre d'homme, qui sans vous faire la cour ouvertement, vous écoute avec une attention soutenue en vous regardant droit dans les yeux et qui vous fait sentir que vous êtes unique au monde. Quand il parlait, ses mains bougeaient comme au ralenti et j'ai remarqué que ses doigts étaient manucurés et très soignés. D'ailleurs nos deux enfants, Nicolas et Anya ont les mêmes jolies mains comme leur père et ses sœurs Marie-Denise et Simone. On était tellement heureux de se retrouver après toutes ces années qu'on oublia notre ami commun qui s'était fait très discret et intervenait rarement dans notre conversation.

Apres 2 bonnes heures à bavarder comme des amis heureux de se retrouve, je pris congé et en me raccompagnant à la voiture de notre ami, Jean Claude m'embrassa sur les deux joues en me disant: "A très vite".


Michèle Bennett Duvalier
Paris, France
Le 15 Janvier 2017

Aucun commentaire: