vendredi 29 janvier 2016

Haïti/Québec/Diasporama: Lettre de Montréal – 28, Littérature haïtienne – 1980-2015.

Quelqu’un m’a apporté d’Haïti cette littérature haïtienne d’Yves . Après avoir lu AUTOPSIE IN VIVO que je lui avais envoyé à Paris, il m’avait écrit:
     »j’ai terminé hier soir la lecture de Autopsie in vivo, et je lui consacre ma chronique de demain soir à l’émission Des Goûts et des Couleurs, sur Radio Notre-Dame, qu’il est possible de podcaster ici :http://radionotredame.net/podcast/desgoutsetdescouleurs.xml
 J’ai aimé votre roman, qui est à la fois complexe et subtil. La mise à nu des mouvements désordonnés de l’intime ainsi que la façon dont Annie se tient à une distance apaisée et parfois presque ironique de ses émotions, me paraissent évoquer une dimension peu commune dans les lettres haïtiennes. Mais c’est là aussi que beaucoup se joue : la distance est aussi celle prise avec le pays,  avec cette façon de faire obstacle à ce qui pourrait changer, vers le mieux. Avoir mis en avant les rapports entre les hommes et les femmes, ou plutôt les déficits dans ces rapports qui manquent à faire relation, est à mon sens très juste. On voit clairement se dessiner un paysage de l’incertain, une géographie humaine de l’indistinct et des égoïsmes. 
Votre style rend avec beaucoup de justesse le désespoir qui prend place au milieu de ces solitudes et de cette attente. »
     Ce qui avait été pour moi un  »réconfort » ainsi que les mots de Joëlle Vitiello, Marie-Claire Blais et Gilles Archambeault, les seules  »reconnaissances » que j’ai eues, importantes pour moi, mais qui n’ont pas été publiques.
    Voici la conclusion de cet ouvrage littéraire:  » Et tous les autres?  Bien sûr, on reprochera à l’auteur ses manques, comme ses partis pris. On aurait dû consacrer des chapitres à des auteurs aussi dignes et importants que Michèle Voltaire Marcellin, Nadine Magloire, Jan J. Dominique, Edwidge Dandicat, Stanley Péan, Alix Renaud, Robert-berrouët-Oriol, Jean-Robert Léonidas, Verly Darbel, Henry Kénol, Jessica Fièvre et bien d’autres. Qu’on y voit ici nulle réticence, nul refus de considérer que leurs écrits ne soient dignes de figurer dans une proposition de guide de lecture. Leur absence n’a qu’une double (et pauvre) raison: La taille de l’ouvrage d’abord; le temps laissé à sa rédaction ». Pauvre excuse, en effet. Vous me décevez M. Chemla.
    Pourquoi avoir intitulé  »votre essai » LITTÉRATURE HAITIENNE?  A qui s’adresse t-il? Aux étudiants? Il ne donne qu’une vue parcellaire, tronquée de notre littérature. Et vous n’êtes pas du tout convaincant dans l’explication de vos choix.  »Une première partie reviendra sur les écrivains des années 1960-1980 et présentera la toile de fonds des activités littéraires, tandis qu’au devant de la scène, le régime instauré par la famille Duvalier paralysait les langues et les possibles. On présentera dix-neuf écrivains, avant de consacrer une très rapide conclusion aux plume nouvelles? » Très rapide conclusion en effet. Nadine Magloire parmi les  »plumes nouvelles » dont ne fait que citer le nom en s’excusant de les avoir négligés? Pierre-Michel Simonin, philosophe Université Paris Descartes (De quoi se mêle t-il celui là?) nous avertit:  »Bien sûr des critiques atrabilaires pointeront des manques, les esprits ronchons, des inexatitudes… »
     Je ne sais ce que pensent les autres écrivains  »négligés ». Quant  à moi, sans être atrabilaire et ronchon, je vais vous rappeler certains faits que vous ignorez ou que vous avez préféré négliger.
Vous parlez de Franétienne, bien sûr, c’est une  »célébrité » maintenant. Vous accordez une bonne place à son premier roman MUR A CREVER. Il avait paru à la même époque que LE MAL DE VIVRE de Nadine Magloire. Celui-ci avait  »éclaté comme une bombe ». Frankétienne dont j’ignorais complètement l’existence était venu humblement m’apporter son roman alors que je travaillais à la bibliothèque de l’Institut Français. Je l’avais trouvé bien prétentieux avec sa théorie du  »spiralisme ».
Roger Gaillard avec écrit un article concernant la  »bombe ». On m’avait trouvé culottée car j’avais fait le lancement au très exclusif cercle Bellevue (que je ne fréquentais jamais, mais mon grand-père, Raphaël Brouard avait été un membre fondateur, on ne pourrait me refuser cela). En même temps, je critiquais dans mon roman les bourgeoises amies de mon héroïne. J’avais même invité l’ambassadeur d’Espagne alors que je me moquais un peu d’un déjeuné dans une ambassade. D’autre part, pour la première fois un écrivain parlait de sexe crûment et c’était une femme. Dans Ile en Ile qui présente les écrivains haïtiens, Joëlle Vittiello dit de Nadine Magloire::
     »En 1967, Nadine Magloire publie sans doute le premier livre féministe haïtien, Le mal de vivre (republié avec quelques modifications en 1968), qui dresse un portrait au scalpel des rapports de genre en Haïti. Audacieux, le livre, à l’avant-garde des mouvements féministes internationaux, ose parler de sexualité à partir d’une perspective féminine et fait scandale.  En 1975, l’auteure signe un deuxième roman, Autopsie in vivo: le sexe mythique. À nouveau, les mécanismes sociaux et les inégalités sexuelles sont représentés à travers des personnages qui démasquent non seulement la bourgeoisie haïtienne, mais aussi les milieux intellectuels, milieux familiers, puisqu’elle publie (de mars 1978 à mars 1979) un magazine culturel, Le fil d’Ariane. En 1975, proclamée l’année de la femme, l’auteure organise une exposition de femmes peintres à l’Institut Français de Port-au-Prince. »
    En 1975 il y a eu LE SEXE MYTHIQUE. En 2009, à Montréal, AUTOPSIE IN VIVO et en 2010, AUTOPSIE IN VIVO – LA SUITE. Tous ces livres  étaient féministes et une peinture de la société haïtienne. Le deuxième s’adressait particulièrement aux étudiants haïtiens. Mais j’ai l’habitude d’être rejeté par la gente littéraire haïtienne en Haïti et à Montréal. Je ne suis pas  »conforme ». Me voici maintenant dans le même lot que Berrourët-Oriol, cet intellectuel retors, sournois, qui pratique l’attaque dans le dos, trop lâche pour agir à visage découvert et Stanley Péan qui dans son magazine LE LIBRAIRE, consacré aux livres, n’avait même pas mentionné la sortie d’AUTOPSIE IN VIVO. Vous le saviez. J’aurais pu croire que vous auriez pris la peine de rendre justice à la romancière Nadine Magloire. Mais, votre livre venant d’Haïti, je n’y croyais pas vraiment.
    La symphonie concertante de ma mère, Carmen Brouard, BARON LACROIX a été joué par l’orchestre Métropolitain à la Maison Symphonique de Montréal après sa mort. Sans doute, devrai-je attendre la mienne pour que mes romans aient leur juste place. Mais dans quelle littérature, Haïtienne? Québécoise? En attendant, il semble que je suis une romancière apatride.
Crédit : Nadine Magloire

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