Depuis notre dernière publication du 4 janvier 2016, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le mois qui s’est écoulé a réchauffé l’âme de tous les démocrates avec la combustion des manifestations qui ont arrêté la machine infernale du Conseil Électoral Provisoire (CEP) et de ses complices nationaux et internationaux. Des ennuis de santé nous ont empêché de continuer à traquer au jour le jour l’absence de pensée stratégique qui caractérise notre univers. Cet accident de parcours étant résolu, nous reprenons le flambeau avec la même volonté d’éclairage pour aider la jeunesse à se préparer pour le rendez-vous de la pensée avec l’action. Comme celui que le jour donne à la nuit.
Il importe de lutter pour la vérité, toute la vérité. Le CEP n’a aucune possibilité de se rattraper comme le laissait croire le Rapport de la Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante » (CEEI). Tout en reconnaissant que les sourires du CEEI ont contribué à achever le CEP, les forces de l’avant-garde ne sauraient en aucun cas se complaire indéfiniment dans le calbindage. D’où la grande manifestation du 22 janvier 2016 qui s’est révélée une clé de qualité au trousseau de la résistance. De l’artillerie lourde qui renvoie sine die le deuxième tour que les bandi legalavaient planifié pour le 24 janvier.
Nous écrivions le 4 janvier 2016 : « Le CEP a donc perdu toute crédibilité et n’est en aucun cas habilité à conduire un deuxième tour. Au fait, il faut aller au-delà de ce simple constat. Une approche éthique exige de rendre justice et non de « trouver rapidement une solution consensuelle afin d’éviter au pays une catastrophe » comme le prétend le Rapport déguisé de la CEEI. Encore une fois, l’impunité est proposée comme solution alors que la justice est une condition sine qua non du progrès social. Il y a lieu de reconnaitre que les fraudes commises par le CEP sont des crimes qui méritent d’être sanctionnés selon la loi. Les résultats diffusés n’ont aucune fiabilité et le CEP est totalement plombé par la corruption [1]. »
Sans commune mesure avec la réalité
L’intensification de la résistance active contre le gouvernement des « bandi legal » a porté un coup de massue à la mascarade électorale. L’approche de la date fatidique du 7 février 2016 a provoqué l’apparition et l’utilisation de toutes sortes de manœuvres locales et internationales pour tenter de prolonger le mandat de Martelly. Pour essayer de faire avaler sa volonté de confiscation du pouvoir par l’absolutisme du présidentialisme à travers des élections frauduleuses visant à imposer son poulain Jovenel Moïse, Martelly a fait appel à l’Organisation des États Américains (OEA).
L’invitation de l’OEA par Martelly est une manœuvre de diversion pour lui permettre de gagner du temps en dressant des obstacles en travers de la route de l’alternance démocratique. Martelly et sa bande de bandits veulent d’un gouvernement pouvant faire une gestion plus raffinée du risque. Pour cela, il faut une personnalité n’ayant aucune indépendance et encore moins de caractère à la tête de l’État afin que le gouvernement de transition ne puisse conduire aucune enquête sérieuse sur la corruption électorale et les malversations du gouvernement Tèt Kale. Martelly insiste pour que le pouvoir politique aille à un de ses favoris afin de garantir sa sécurité et de ne pas mettre en danger le système prédateur de la mafia économico-financère qui contrôle Haïti.
Entretemps, la crise s’est accélérée avec la démission de six des membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP), l’appel de la société civile à la fin du mandat présidentiel le 7 février et les manifestations à travers le pays. Dans leur course effrénée au pouvoir, les bandi legal mettent en péril une fois de plus l’entité nationale car leurs dernières mesures sont complètement farfelues et sans commune mesure avec la réalité. Il existe une complète disjonction entre les revendications des manifestants qui réclament la transparence des opérations électorales et les objectifs et pratiques du CEP à la solde du pouvoir. Pour permettre une maîtrise de la conjoncture, nous continuons sur les brisées de notre dernier papier du 4 janvier 2016, en analysant autant les invariants que les antécédents. Ces interrogations majeures, loin de toute déconnexion, sont indispensables pour envisager des solutions durables.
La spirale de la corruption électorale
En plein dans la semaine de la dernière ligne droite, le mouvement démocratique doit conserver son enthousiasme. Comme nous le disions en janvier 2015, dans un article intitulé « Les dessous de l’opération » bandit légal » en Haïti » publié par AlterPresse, « Le mal Martelly ne peut produire aucun bien. La mobilisation dans les rues doit continuer même s’il reste un jour avant le départ de Martelly. » Le pilier de tout changement véritable est la mobilisation basée sur la conscience et les valeurs de progrès.
L’opposition démocratique a le vent en poupe avec une équipe qui a fait ses preuves dans l’unité, dans la lutte concrète et la résistance active. Le moment est arrivé pour saisir l’instant comme l’a fait Maryse Narcisse en claquant ses talons sur les carreaux du Bureau du Contentieux Electoral National (BCEN) pour vérifier au Centre de Tabulation des Votes (CTV), avec Maitre Gervais Charles et ses avocats, la fraude massive des bandi legal. Un travail d’éveil que les membres du G-8 qui n’avaient pas les paupières closes ont affiné dans des prises de position et de merveilleux arabesques qui font trembler le statu quo. Tandis que le G-30 et tous les secteurs de la société civile disent à l’unisson qu’il n’y a plus de temps à perdre. Qu’il faut un nouveau CEP et que Martelly doit partir au plus tard le 7 février.
Haïti s’est enroulée dans la spirale de la corruption électorale sous les applaudissements d’une communauté internationale qui sanctifie les agissements scandaleux de Martelly. L’envoutement du « wanga » était tel que le moindre murmure réprobateur est exclu. Aussi Martelly se sachant muni d’un air ensorcelant (move zè) n’a pas hésité à afficher son insolence. Sur le plan national, les études réalisées par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) à propos des élections du 9 août 2015 autant que celle faite sur le plan international par l’institut brésilien IGARAPÉ [2] constatent des fraudes et irrégularités mettant en question les résultats publiées par le CEP. Malgré les critiques, le CEP a refusé de rebrousser chemin. Selon le Miami Herald, ces élections ont eu lieu dans un climat de violence organisée par les partis associés au pouvoir [3].
Quand aux élections du 25 octobre 2015, la ritournelle de la fraude est allée crescendo avec la distribution de plus de 900 000 cartes d’accréditations aux mandataires, membres des partis politiques proches du pouvoir qui leur ont permis de voter plusieurs fois [4]. En clair, plus de 50% des votants estimés à 1.6 million avaient des cartes d’accréditation. Les incrédules comprendront que ce dispositif de la fraude n’a été possible que grâce à une opération machiavélique du gouvernement Martelly : le gouvernement a abaissé unilatéralement le nombre de personnes requis pour enregistrer une formation politique, ce qui nous vaudra le casse-tête des 58 candidats à la présidence.
En partance pour le renouveau
En effet, la classe politique a accepté la marche arrière dans l’impasse où Martelly a engagé la nation. La messe noire d’El Rancho avec 53 partis politiques a été la matérialisation d’un état d’hébétement qui a empiré un an plus tard à 166 partis politiques officiellement enregistrés par le CEP pour les élections de 2015. Sans la moindre hésitation, Martelly a imposé le quiproquo en changeant l’article 16 du décret du 30 juillet 1986 établissant à 5000 les membres nécessaires pour créer un parti politique [5]. Martelly a réduit ce nombre à 20 afin de mieux atomiser la classe politique [6]. Cette forfaiture est inscrite dans l’article 8-a de la Loi électorale votée au Sénat le jeudi 12 avril 2012, à la Chambre des députés le mardi 23 avril 2013 et publiée au journal officiel « Le Moniteur » le 16 janvier 2014.
La grande bêtise des Tèt Kale touche à sa fin. C’est l’échec du bouleversement envisagé pour détourner la jeunesse des idéaux de connaissance et de progrès à travers la débauche. Martelly et sa bande ont pris toutes les dispositions pour bercer la population afin de se cramponner au pouvoir à travers les élections du 9 août, du 25 octobre et du 24 janvier. En vain ! La population est restée les yeux ouverts. À contre-courant. Les bandi legal et leurs complices diplomatiques ont beau dire adelante (droit devant), ils sont obligés de s’arrêter et de faire marche arrière. Le carnaval grivois 2016 de Sweet Micky est boudé par la presse, et la ribambelle de publicité qui l’entoure n’a pas donné les résultats recherchés [7]. En internationalisant le débat avec la participation de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) et en se donnant la main dans la rue, les forces conjointes des candidats Jude Célestin, Maryse Narcisse et Moïse Jean Charles ont bloqué toute possibilité que le CEP reprenne sa route.
En partance pour le renouveau, l’équipage du navire est au complet avec la diaspora comme force d’appoint pour sortir de ce sale temps. Il faut s’éloigner au plus vite du rivage de l’environnement qui n’a pas fait d’élections en quatre ans. Qui a nommé les agents exécutifs intérimaires pour remplacer les maires, les ASEC et CASEC. Qui veut reproduire l’aberration du pouvoir exécutif à la Martelly au Sénat et à la Chambre des Députés. Qui a gaspillé les fonds de PetroCaribe et les taxes collectées sur les appels téléphoniques et les transferts de la diaspora. Qui va se rappetir jusqu’à disparaitre. (à suivre)
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* Économiste, écrivain
[1] Leslie Péan, Le Rapport déguisé de la Commission d’Évaluation Électorale « Indépendante » (CEEI), Tout Haïti, 4 janvier 2016.
[2] Athena R. Kolbe, Nicole I. Cesnales, Marie N. Puccio, Robert Muggah, Impact of Perceived Electoral Fraud on Haitian Voter’s Beliefs about Democracy, IGARAPÉ INSTITUTE, Strategic note 20, Rio de Janeiro, Brasil, November 2015.
[3] Jacqueline Charles, « Haitian electoral observers demand investigation into election day chaos », Miami Herald, August 25, 2015.
[4] Center for Economic and Policy Research, « Presidential Elections in Haïti : The Most Votes Money Can Buy », Washington, D.C., November 3, 2015.
[5] Lois et Actes du Conseil National de Gouvernement (CNG) du 7 février 1986 au 7 février 1988 , 2e partie, Port-au-Prince, 1988, p. 63.
[6] « Loi portant formation, fonctionnement et financement des Partis Politiques », Le Moniteur, Port-au-Prince, 169è année, numéro 10, jeudi 16 janvier 2014, p. 4.
[7] « Haiti’s pop star president makes bizarre musical attack on female journalist », New York Post, February 2, 2016.
Crédit: Leslie Péan*
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