mardi 16 février 2016

Esquisse d’une aventure marquée de désaccords entre dispositions normatives et contingences politiques.

Claude Joseph
Claude Joseph
Au 31 décembre 2016, le Parlement haïtien aura 210 ans d’existence. Avec la formation du premier parlement monocaméral créé par la constitution du 27 décembre 1806, Haïti s’était désormais dotée d’un nouvel outil politique qui marquait sa contribution dans l’évolution du parlementarisme mondial à coté, par exemple, des Etats-Unis qui, après avoir parachevé l’acte de l’Independence, ont inscrit dans leur constitution un parlement bicaméral. Ainsi, après plus de deux siècles d’existence – caractérisés par des expériences variées allant du monocamérisme (1806-1816) en passant par le bicamérisme (1816-1918) [1]puis un conseil d’Etat (1918-1930) [2] pour retourner au bicamérisme (1930-1957) qui sera ensuite détourné par la chambre unique duvaliérienne (1957-1986) pour enfin aboutir au rétablissement constitutionnel du bicamérisme (1987- à nos jours) – le parlement haïtien devrait logiquement acquérir un capital institutionnel de telle sorte que les actions parlementaires, balisées par les principes normatifs, seraient prévisibles dans des situations quelconques. Cependant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, force est de constater que ce sont les méandres des contingences politiques qui ont souvent façonné les actions et décisions parlementaires traduisant un déni du droit donnant, du coup, place à l’improvisation, l’amateurisme et des coups bas. Et comme conséquence de leur mépris des principes constitutionnels, souvent manifesté dans un jeu politique triangulaire entre le Sénat, la chambre des députes et l’exécutif pour satisfaire les caprices de l’un contre l’autre, beaucoup de législatures n’ont pas pu boucler leurs travaux conformément aux chartes fondamentales [3]. Considérant les premières actions de la 50e législature [4] qui semblent s’inscrire également dans un déni des principes normatifs pour satisfaire les caprices des politiciens, il paraît légitime de s’inquiéter sur la survie du Parlement actuel.
On ne fait certainement pas office d’oiseau de mauvais augure, c’est simplement un constant dérivant d’une régularité dans l’histoire du Parlement haïtien dont la survie a toujours été tributaire de la stabilité politique du pays. Point n’est besoin d’être politiquement perspicace pour présager une autre crise politique qui résulterait des premières actions astucieuses de cette 50e législature décidant d’organiser une élection au second degré avec le seul objectif d’élire Jocelerme Privert dans les conditions politiques aussi délétères caractérisant la réalité d’après Martelly. S’il est vrai que la constitution de 1987 amendée est muette sur la façon de résoudre cette crise politique léguée par la mauvaise gestion du pouvoir de Martelly, en outre, si rien n’empêchait le président du Sénat à se porter candidat à la présidence, le bon sens, cependant, exigeait un consensus restant le plus près de la constitution de 1987 et en s’attachant surtout aux normes voulant que les trois pouvoirs soient indépendants. Mais, l’actuel corps législatif a décidé de procéder autrement.
En fait, la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) a toujours été un sujet de grandes préoccupations animant les débats opposants les constituants haïtiens dans la préparation de presque toutes les 22 constitutions haïtiennes du 20 mai 1805 au 10 mars 1987 [5]. Sur cette question, on peut évoquer le débat opposant deux célèbres tribuns de l’assemblée constituante de 1889 : Antenor Firmin et Leger Cauvin. Ce fut une joute oratoire de très haut niveau autour des conflits d’intérêts pouvant mieux faciliter ou entraver la bonne marche des instituions du pays. En final, l’assemblée vota en faveur de la position de Cauvin, et l’article 55 de la constitution de 1889 stipule que : « les fonctions de sénateurs sont incompatibles avec toutes autres fonctions publiques rétribuées par l’Etat ». La constitution de 1889 (art 55) n’est pas évoquée ici comme base normative devant servir de référence pour trancher sur l’éligibilité ou non de Jocelerme Privert d’autant que d’abord la caducité d’une constitution est immédiate avec la création d’une autre [6] et ensuite le débat en 1889 ne se portait pas exactement sur la fonction de président de la république. Cependant, les circonstances actuelles nous portent à accorder une attention particulière à la procédure portant Jocelerme Privert à assurer la présidence provisoire du pays, démarche pouvant entraver l’indépendance de deux principaux pouvoirs (exécutif et législatif), disposition normative non moins chère à une démocratie.
Le choix du président du Sénat de se porter candidat à la présidence et toutes les tractations, subterfuges et conciliabules d’arrière-cours qui s’en suivent ne prouvent qu’une seule chose : le sauvetage national n’est pas pour demain. Cela montre une fois de plus que les leaders haïtiens ne sont pas à la hauteur des responsabilités qui leur incombent. Ce n’est pas par hasard que depuis 1987 nous décrétons la permanence dans une transition démocratique. Nos leaders, en refusant de respecter et de faire respecter les institutions haïtiennes, ont fait le choix de l’instabilité politique brassant les couches les plus vulnérables et forçant les cadres haïtiens à laisser le pays en masse. La 50e législature est face à son destin : inscrire ses actions dans un cadre plus normatif pour pouvoir les doter d’une certaine prévisibilité au regard du droit ou suivre le sort des législatures n’ayant pas pu boucler leur terme à cause des instabilités politiques qu’elles ont elles-mêmes certaines fois provoquées.
* Adjunct professor – Fordham University
Contact : Cjoseph20@fordham.edu
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[1] Il faut noter que le bicamérisme de 1816 à 1918 ne s’effectue pas dans un ordre linéaire et simple, c’est-a-dire sans perturbations. Par exemple, le refus d’adopter la constitution de 1843 issue du Manifeste de Praslin, ce que Mirlande Manigat appelle une occasion manquée, donnait lieu à un Conseil d’État du 29 novembre 1844 au 1er mars 1846.
[2] Pour situer le Conseil d’État, fruit de l’occupation américaine, dans l’ordre juridique parlementaire, Mirlande H. Manigat parle de « monocamérisme de fait ». Voir, « La contribution d’Haïti au constitutionalisme universel » in « L’histoire comme passion : Mélanges offerts à Leslie F. Manigat » sous la direction de Cary Hector.
[3] La 23e législature a duré moins d’un mois ; la 29e , deux mois ; la 12e, dix mois ; la 18e, seize mois ; la 16e et la 22e, trois ans. Voir “Le parlement Haïtien : Deux siècles d’histoire” p. 63, sous la direction de Lemoine Bonneau avec la contribution de Mirland H. Manigat et Claude Moise.
[4] La référence à la 50e législature pour parler du corps législatif est plutôt plus traditionnel que juridique étant donné qu’une législature depuis la constitution de 1950 s’entend de la durée du mandate des députés.
[5] Je suis la logique de Mirlande H. Manigat dans ses deux volumes “Traité de droit constitutionnel haïtien”. 22 constitutions, non 23, si l’on se réfère à l’histoire nationale, donc la constitution de 1801 de Toussaint n’est pas considérée. Ensuite, selon les procédures adoptées pour les 21 constitutions précédentes où ce sont les dates de l’adoption par les assemblés qui sont retenues, on doit parler de la constitution de 10 mars 1987, non de 29 mars date du referendum populaire.
[6] L’article 55 de la constitution de 1889 n’était pas repris dans la constitution suivante à savoir celle de 1918. Mais la constitution du 10 mars 1987 en a mentionné sans équivoque (art 60 et 60.1).
Crédit: Claude Joseph*

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