Tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier (3e partie)
AU NOM DU PÈRE ET DU FILS ET DE SAINT-NICOLAS…
Linguiste-terminologue
Montréal, le 26 avril 2013
Montréal, le 26 avril 2013
Courriel : tradutexte.inter@hotmail.com 
| Le Linguiste et terminologue, Robert Berrouët-Oriol | 
Cartes sur table. Au nom  de
 la liberté d’expression, du droit à la pluralité des voix dans l’espace
 public, les médias haïtiens peuvent-ils se permettre, aujourd’hui, de 
publier un manifeste pédophile, un texte antisémite, une apologie du 
racisme, un factum à la gloire du nazisme, une béatification de 
Mussolini et de Pinochet ? À bien comprendre ce que nous enseigne Albert
 Camus, –« tout est permis ne veut pas dire que rien ne soit défendu »–,
 y a-t-il un code éthique et déontologique appelé à encadrer la liberté 
d’expression dans les médias haïtien ? Dans mes domaines de recherche et
 d’écriture –la linguistique et la littérature–, ai-je le droit de 
diffuser, par exemple dans Le Nouvelliste, les bonnes feuilles du très 
grand écrivain français Louis-Ferdinand Céline tirées de ses œuvres 
antisémites ayant pour titre  « Bagatelles pour un massacre » et « L’École des cadavres »
 sans déshonorer mes amis Juifs et la mémoire des millions de Juifs 
massacrés par le système-Hitler durant la seconde Guerre mondiale ? 
Haïti dispose-t-elle aujourd’hui d’un dispositif juridique contraignant 
et punissant le délit d’apologie de crimes contre l’humanité dont le duvaliérisme, en Haïti, a constitué la machinerie infernale la plus aboutie ? 
J’avais en tête ces questions taraudantes au constat que Le Nouvelliste de Port-au-Prince avait franchi la ligne rouge
 la fin de semaine du 20 avril 2013 en publiant un texte laudateur, 
mystificateur et négationniste d’un pâle descendant d’une lignée de 
dictateurs, un certain François-Nicolas Duvalier, petit-fils du tyran du
 même nom, le fondateur de la plus violente dynastie assassine de 
l’histoire nationale. Sans mise en garde de la rédaction, sans distance 
critique de sa part et certainement sans décence aucune, le Nouvelliste a
 ouvert avec largesse ses précieuses et si sélectives pages au dénommé 
François-Nicolas Duvalier en publiant, le 19 avril 2013, son hallucinant
 hommage ainsi titré : « In memoriam Dr François Duvalier, président à vie[1]». 
| Dr François DUVALIER | 
À
 la décharge de Le Nouvelliste, on peut effectivement rappeler que les 
colonnes du quotidien absorbent courants et contre-courants. La grande 
différence entre les autres publications-témoignages accueillies par le 
journal et l’insultant hommage du rejeton duvaliériste réside dans le 
fait que les témoignages des victimes, parents des victimes et témoins 
sont véridiques se basant sur des faits réels tels qu’ils se sont 
produits durant l’une des plus douloureuses journées de l’histoire 
contemporaine haïtienne. Les victimes ou leurs parents ne falsifient pas
 l’histoire. Alors que cet hommage contre-nature du petit-fils du tyran 
qui habille le dictateur avec les habits d’un démocrate, d’un 
républicain constitue une contrefaçon grotesque  qui
 tombe dans le domaine de l’interdit. Il y a donc deux questions à poser
 en pareilles circonstances : 1- Peut-on s’associer impunément au 
négationnisme et au révisionnisme historique ? 2- Peut-on faire 
l’apologie des crimes en toute quiétude ?
L’APOLOGIE
 D’UN CRIMINEL, ASSORTI DU DÉNI DE SES CRIMES À GRANDE ÉCHELLE ET DE SON
 SYSTÈME DE DESTRUCTION MASSIVE, SONT DES DÉLITS NATIONAUX ET DES CRIMES
 CONTRE L’HUMANITÉ QUE LA LOI DEVRAIT RIGOUREUSEMENT SANCTIONNER EN 
HAÏTI 
Une remarque préliminaire s’impose : le
 26 avril 1963 au matin, la voiture présidentielle qui amenait les 
enfants Simone et Jean-Claude Duvalier à l’école fut attaquée par quatre
 hommes armés, habillés en vert olive. Il s’ensuivit des rafles et des 
massacres, des centaines de personnes innocentes furent ce jour-là et 
les jours suivants traquées, capturées, torturées et assassinées. Dans 
ce contexte de terreur duvaliériste de masse, Le Nouvelliste d’alors, on
 le comprend, n’a pas ouvert ses pages aux familles des centaines de 
victimes traquées par les hordes duvaliéristes hallucinées aux mains 
couvertes de sang… L’Histoire, que l’on s’efforce maintenant de 
falsifier, est aussi une mémoire archivée, et aujourd’hui les victimes 
osent témoigner à visière levée sur les ondes des radios haïtiennes et 
par-devant les tribunaux où Jean-Claude Duvalier a dû comparaître comme 
inculpé. Et paradoxe apparent de l’Histoire, c’est la liberté de parole 
conquise dans le combat contre la dictature duvaliériste avant 1986 qui 
permet maintenant à un rejeton de la fratrie macoute de s’exprimer 
librement dans les pages à dessein hospitalières du Nouvelliste –ce que 
les jeunes de son âge, sous Duvalier père et fils, ne pouvaient 
aucunement faire sans être arrêtés, torturés et assassinés. 
| François-Nicolas Jean-Claude Duvalier II | 
L’hommage
 du petit-fils de François Duvalier à son tyran de grand-père 
n’appartient pas à la sphère de l’intime, du privé : c’est un acte 
public, un document rédigé par la baronnie duvaliériste mais qu’il signe
 et endosse publiquement dans Le Nouvelliste, commettant par là-même 
l’apologie d’un criminel et de ses crimes. 
Le
 vécu familial est de l’ordre de l’intime alors que l’acte de 
publication concernant un personnage public rejoint le domaine public et
 à ce titre doit être confronté aux faits. Par cette tentative grossière
 de réhabilitation de François Duvalier, le petit-fils jusque là épargné
 par les controverses, vient d’intégrer les rangs des assassins, parce 
qu’il ne peut pas prétendre, lui, ignorer les témoignages d’horreurs, de
 carnages, d’assassinats, d’emprisonnements arbitraires racontés dans 
les colonnes du journal depuis plusieurs semaines. Il rejoint ainsi la 
triste liste des « assassins de la mémoire» et se montre prêt à continuer l’œuvre morbide de son père et de son grand-père. 
Dans un État de droit, le dénommé François-Nicolas
 Duvalier devrait être traduit en justice pour apologie d’un criminel, 
assorti du déni de ses crimes à grande échelle et de son système de 
destruction massive. Il devrait être traduit en justice au même titre 
que tout média qui lui sert de tremplin sinon de porte-parole officieux…
 Sauf à vouloir cultiver une fois de plus l’omertà et l’impunité sur les
 ruines claudicantes de Fort-Dimanche, sauf à vouloir une fois de trop 
pratiquer le détournement de la Loi… 
Séquence 1 : détournement de la Loi, visa pour l’impunité      
| Jean-Claude Duvalier | 
Au
 retour en Haïti du nazillon Jean-Claude Duvalier, il y a plus d’un an, 
des juristes de service et autres commis recyclés de la baronnie macoute
 se sont efforcés de lui garantir l’impunité (préalablement fournie par 
lesdits « pays amis d’Haïti ») en invoquant une fallacieuse « prescription de l’action »
 selon laquelle les crimes qui lui sont imputés auraient fait leur temps
 et ne pouvaient plus être jugés par les tribunaux haïtiens. Ainsi, dans
 une dépêche de Radio Métropole datée du 19 janvier 2011, un juriste émérite et banquiste respecté, Bernard Gousse, précise que « Le
 gouvernement provisoire de Henry Namphy avait édicté un décret annulant
 les prescriptions de crimes commis par le régime des Duvalier. La 
prescription ne joue pas contre quelqu’un qui est empêché d’agir, 
explique le juriste pour justifier le décret du CNG. Ce décret du 18 
juin 1986 autorisait des poursuites pour les crimes commis durant les 22
 années du régime des Tontons Macoute. Selon maître Gousse les familles 
des victimes devraient intenter une action en justice contre les hauts 
dignitaires du régime des Duvalier entre février 1986 et février 1996. 
Une plainte qui est restée sans suite devrait être renouvelée chaque 10 
ans pour que l’action demeure vivante, explique le juriste se référant à
 l’article 466 du code d’instruction criminelle.[4]» Pareille absolution a également été accordée par l’absconse « constitutionnaliste »
 Mirlande Manigat qui, tournant elle aussi le dos à la jurisprudence 
internationale, s’est récemment fait le porte-parole bateleur et surtout
 truqueur de la soi-disant « prescription de l’action ». Écoutons-la : «
 [...] pour moi, il y a 3 aspects dans ce dossier, il y a l’aspect 
strictement judiciaire : la question qu’il n’y a pas de crime contre 
l’humanité dans notre juridiction, dans nos textes, ou qu’après 10 ans, 
certains crimes ne peuvent plus être évoqués, ou encore les aspects sur 
le plan technique… C’est ça l’aspect judiciaire. Vous avez l’aspect 
politique, ce n’est pas n’importe qui, que l’on juge, c’est une 
personne, qui a un bilan. Les duvaliéristes peuvent vous dire, qu’il y a
 des choses qui étaient bonnes, vous entendez des gens dire que sous 
Jean-Claude Duvalier il y avait la sécurité, il y avait ceci, il y avait
 cela… On ne peut pas dire que le bilan est totalement négatif. Mais 
attention, en ce qui concerne le respect du Droit, le respect des Droits
 de l’Homme, le bilan est négatif. Donc ce n’est pas normal de continuer
 de parler d’impunité. Moi, c’est sous Jean Claude Duvalier que j’étais 
en exil, j’ai appris qu’ont avait arrêté mon père, ma mère et deux 
oncles. Ma mère a fait 15 mois en prison, mon père 3 ans, sans être 
jugée.[5]»
Contrairement aux élucubrations et autres montages spécieux des défenseurs de la «prescription de l’action », il
 existe contre Jean-Claude Duvalier, depuis de longues années, un solide
 dossier de crimes d’État et de mise en accusation devant la justice.
 Nombre de victimes de la dictature sont partie civile à ces plaintes, 
les témoignages des victimes sont consignés et accessibles, des dossiers
 rigoureux et bien documentés ont été déposés par-devant les instances 
concernées, et  il
 existe une  jurisprudence internationale conséquente et bien étayée 
relative aux imprescriptibles crimes contre l’humanité commis durant le «
 règne » du dictateur Jean-Claude Duvalier.
Ainsi, « Dans une entrevue accordée à Radio-Canada (…) Me René Magloire [alors conseiller juridique de René Préval, NDA] soutient que les traités internationaux sur les droits de la personne dont Haïti est signataire ignorent le délai de prescription de 10 ans et permettent donc de poursuivre Duvalier en justice. « La poursuite contre Duvalier va permettre d’abord aux victimes de ce régime-là de retrouver une certaine dignité et ça va permettre aussi de démontrer en Haïti que l’impunité doit cesser [6]».
Pour sa part, William G. O’Neill[7], avocat spécialiste des questions de droits de l’homme et conseiller des Nations–Unies pour le Kosovo, nous enseigne qu’« Haïti a reconnu la juridiction du tribunal interaméricain et se trouve donc liée par ses principes. Les
 exactions aboutissant aux milliers de victimes assassinées, torturées 
et disparues sous le règne de Jean-Claude Duvalier ont été des crimes 
contre l’humanité au moment de leur perpétration entre 1971 et 1986.
 Ces victimes, leurs parents et les survivants méritent de voir leur cas
 enfin saisi par la Justice. En conséquence, la décision du Juge Carvès 
doit être et attend d’être renversée.» 
Plus récemment, une dépêche d’AlterPresse datée du 7 février 2013,«Haïti-Duvalier : Signature d’un essai-plaidoyer pour juger l’ex-dictateur[8]»relatant
 la parution du livre « Le procès de Duvalier pour crimes contre 
l’humanité » du juriste Jaccéus Joseph, l’agence en ligne nous précisait
 que «Dans
 ce texte, Joseph répond aux avocats de la défense de Duvalier arguant 
qu’il n’y a pas de provisions légales dans le droit interne haïtien pour
 juger Duvalier. « Nous avons 
démontré que la commission de ces crimes dits internationaux implique 
l’obligation de l’État haïtien de juger Duvalier, l’universalité de la 
procédure, l’internationalisation de sa poursuite, l’interdiction 
d’amnisties, sa responsabilité pénale individuelle, l’inaliénabilité et 
imprescriptibilité du recours. Ce procès est ainsi placé au cœur du 
droit pénal coutumier international lié au Jus Cogens. » 
Il y a lieu ici de rappeler que l’article 276.2 de la Constitution de 1987 stipule que
« Les traités ou accord internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires.» Il faut également souligner que Haïti est signataire de laConvention américaine relative aux droits de l’homme (aussi appelée Pacte de San José), traité international majeur du système interaméricain de protection des droits de l’homme. Cette convention a été adoptée le 22 novembre 1969. Les organismes responsables de son application sont la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, deux organes de l’Organisation des États américains (OEA)[9]. En ce qui a trait à l’inculpation du dictateur Jean-Claude Duvalier par-devant la justice haïtienne, voici ce qu’a statué la Commission interaméricaine des droits de l’homme en mai 2011 ; je reproduis cinq articles de sa Déclaration pour bien montrer au lecteur la nature et la gravité du «détournement de la loi » ainsi que le cadre légal de l’imprescriptibilité des crimes commis sous Jean-Claude Duvalier :
« Les traités ou accord internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires.» Il faut également souligner que Haïti est signataire de laConvention américaine relative aux droits de l’homme (aussi appelée Pacte de San José), traité international majeur du système interaméricain de protection des droits de l’homme. Cette convention a été adoptée le 22 novembre 1969. Les organismes responsables de son application sont la Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, deux organes de l’Organisation des États américains (OEA)[9]. En ce qui a trait à l’inculpation du dictateur Jean-Claude Duvalier par-devant la justice haïtienne, voici ce qu’a statué la Commission interaméricaine des droits de l’homme en mai 2011 ; je reproduis cinq articles de sa Déclaration pour bien montrer au lecteur la nature et la gravité du «détournement de la loi » ainsi que le cadre légal de l’imprescriptibilité des crimes commis sous Jean-Claude Duvalier :
6.   Le
 27 septembre 1977, la République d’Haïti a déposé son instrument 
d’adhésion à la Convention américaine relative aux droits de l’homme 
(ci-après la « Convention américaine »), qui est entrée en vigueur le 18
 juillet 1978. Par conséquent, aux termes de l’article 276(2) de la 
Constitution d’Haïti, ce traité international fait partie de la 
législation haïtienne et abroge toutes les lois qui lui sont contraires.
 De même, le 20 mars 1998, Haïti a reconnu la compétence obligatoire de 
la Cour interaméricaine des droits de l’homme (ci-après la « Cour 
interaméricaine »). 
 7.   De
 ce fait, le Pouvoir judiciaire haïtien, en tant que partie intégrante 
de l’appareil de l’État, est soumis à la Convention américaine et est 
tenu de veiller à ce que les effets des dispositions de la Convention ne
 soient pas restreints par l’application de lois contraires à son objet 
et à sa finalité. Ainsi, « le Pouvoir judiciaire doit exercer une sorte 
de ‘’contrôle de conventionnalité’’ entre les normes juridiques internes
 qui s’appliquent à des affaires concrètes et la Convention américaine 
relative aux droits de l’homme. Dans cette tâche, le Pouvoir judiciaire 
doit tenir compte non seulement du traité mais aussi de l’interprétation
 donné par la Cour interaméricaine, interprète ultime de la Convention 
américaine ».
10.  Les
 crimes contre l’humanité ont été définis pour la première fois dans les
 Principes du droit international consacrés par le Statut du Tribunal de
 Nuremberg et dans les jugements de ce Tribunal de 1950. Ces Principes 
ont été adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies avant que ne 
commence le régime de Jean-Claude Duvalier en Haïti, ce qui confirme le 
statut de jus cogens qu’avait
 déjà l’interdiction des crimes contre l’humanité au moment où se sont 
produites lesdites violations graves aux droits humains en Haïti.
12.  La
 Convention des Nations Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de 
guerre et des crimes contre l’humanité dispose clairement que ces actes 
illicites internationaux « sont imprescriptibles, quelle que soit la 
date à laquelle ils ont été commis ». La Cour interaméricaine a établi 
que les États qui n’ont pas ratifié ladite Convention, comme c’est le 
cas d’Haïti, ne peuvent pas pour autant ne pas respecter cette règle 
impérative étant donné que « l’imprescriptibilité des crimes contre 
l’humanité  surgit en tant que règle de droit international général (jus cogens) qui n’a pas son origine dans cette Convention mais qui est reconnue dans celle-ci ».
13.  Dans
 sa jurisprudence constante, la Cour interaméricaine a établi que « sont
 inadmissibles les dispositions relatives à l’amnistie, les dispositions
 relatives à la prescription et l’établissement de causes d’exonération 
de la responsabilité qui prétendent empêcher les enquêtes et la sanction
 des responsables des violations graves des droits humains, comme la 
torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires et 
les disparitions forcées, toutes lesquelles sont interdites étant donné 
qu’elles enfreignent des droits non soumis à dérogation consacrés par le
 droit international relatif aux droits humains ». De même, en ce qui 
concerne les crimes contre l’humanité, la Cour interaméricaine a signalé
 que « l’obligation d’enquêter et, le cas échéant, de juger et de 
sanctionner, acquiert une intensité et une importance particulières 
compte tenu de la gravité des délits commis et de la nature des droits 
qui ont été lésés ». 
Pour conclure, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a rappelé le 17 mai 2011
 le devoir pour l’État haïtien « d’enquêter sur les graves violations 
des droits humains commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier ». Je
 signale très fortement au lecteur qu’« À la demande du Collectif contre l’impunité[10], la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a tenu le 28 mars 2011 une audience en présence d’un membre du ministère de la Justice d’Haïti.
 Celui-ci a exprimé la volonté de l’État haïtien de juger les violations
 des droits humains en question. Il a sollicité l’appui technique de la 
CIDH pour ce faire. » Le Collectif est appuyé par Human Rights Watch, Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau des avocats internationaux (BAI).
Séquence 2 : négationnisme et délit d’apologie
Au 
lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à récemment, les 
démocraties européennes se sont dotées d’un dispositif juridique et 
d’une infrastructure judiciaire destinés à contrer et à sanctionner 
pénalement le retour de l’idéologie nazie, des crimes nazis et des 
différentes formes de réapparition du nazisme… Le duvaliérisme en est la
 variante tropicale –un fascisme tropical– selon la judicieuse terminologie de l’économiste Gérard Pierre-Charles (auteur de la « Radiographie d’une dictature », 3ème édition, CRESFED, Port-au-Prince, 1986)
 et du romancier René Depestre. Celui-ci, dans un célèbre entretien avec
 le professeur et critique littéraire Frantz Leconte, dit avec hauteur à
 propos de la dictature duvaliériste que « C’était
 un terrorisme d’État le plus meurtrier du siècle après le nazisme qui 
avait d’autres moyens, le fascisme de Mussolini, peut-être Franco. Mais 
lui, il a développé le fascisme tropical, le fascisme de 
sous-développement.[11]»
Prévenir
 et contrer l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre 
l’humanité ainsi que le nazisme, le négationnisme et le révisionnisme 
historique par l’éducation citoyenne et par l’application de la Loi : un
 véritable projet de société, adossé au devoir de mémoire, dont les 
Juifs et Israël nous fournissent chaque jour l’illustration éclairante 
dans leur combat contre la négation de l’Holocauste.  
Le terme « apologie» désigne undiscours défendant, justifiant une personne ou une doctrine. Il désigne également tout «Discours
 ou écrit ayant pour objet de défendre, de justifier, et le cas échéant 
faire l’éloge d’une personnalité ou d’une cause contre des attaques 
publiques» (Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, France). Au fil des ans le terme a évolué pour désigner un écrit, un discours ou une prise de position destinée à faire l’éloge d’une personne, d’une idée ou d’une doctrine. En France, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 punit l’apologie des crimes et délits, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes et délits d’intelligence avec l’ennemi.  
Dans le dispositif juridique français –dont s’inspire d’habitude le système juridique haïtien–, la loi Gayssot est la désignation courante de la loi française no 90-615 du 13 juillet 1990. Cette loi cible le délit d’apologie comme les crimes contre l’humanité : 
« La loi Gayssot innove par son article 9, qui qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels que définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg,
 qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée 
criminelle en application de ce statut soit par une personne reconnue 
coupable de tels crimes. Cet article 9 introduit en effet dans la loi de
 1881 sur la liberté de la presse un article 24 bis dont voici le 
premier alinéa :
« Seront
 punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui
 auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence 
d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par 
l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à 
l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les 
membres d’une organisation déclarée criminelle en application de 
l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de 
tels crimes par une juridiction française ou internationale. »
L’article 6 (c) de ce statut définit les crimes contre l’Humanité : « l’assassinat,
 l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout 
autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou 
pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, 
raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient 
constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été 
perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la 
compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.[12]» 
Les juridictions haïtiennes compétentes pourraient s’inspirer de la loi Gayssot et produire un énoncé contributif –une jurisprudence d’application obligatoire–,  conforme à la Constitution de 1987 aux fins de recevoir une plainte émanant de la société civile, ou de l’État, et visant le fils et petit-fils des tyrans. Pareil  énoncé contributif permettrait
 de le traduire en justice pour apologie d’un criminel, assorti du déni 
de ses crimes à grande échelle et de son système de destruction massive.
  
Il m’apparaît en effet qu’il y a « délit d’apologie de crimes »  connus,
 reconnus et amplement documentés qui sont le fait de la dictature des 
Duvalier père et fils, et que l’article paru dans Le Nouvelliste du 19 
avril 2013 constitue « le corps du délit » consigné
 avec l’accord supplétif et empressé de la rédaction de ce journal. En 
l’espèce, Le Nouvelliste commet un délit par association, et cela pose à
 la fois la brûlante question de la déontologie de la profession 
journalistique en Haïti et également celle des limites éthiques qui 
configurent la ligne éditoriale des médias. À ce chapitre, et à la suite
 de la parution de l’article du fils et petit-fils des tyrans, nous 
avons tous noté le lourd silence de l’ANMH (l’Association
 nationale [patronale] des médias haïtiens) comme d’ailleurs celui des 
organisations professionnelles des journalistes du pays, notamment SOS Journalistes…
 Faudrait-il rappeler combien ils sont nombreux les journalistes qui ont
 payé de leur vie pour que la liberté d’expression soit un droit 
consigné dans la Constitution de 1987 ?    
Et plusieurs questions simplement formulées renvoient au fond de la problématique : (1) au
 regard de l’histoire du duvaliérisme, quels sont les critères et 
quelles sont les limites du droit de parole dans les médias haïtiens ? (2)
 qu’est-ce qui balise un reportage, une enquête fouillée, un texte 
d’opinion, une apologie d’un régime dictatorial, un texte promotionnel ?
 (3) un
 organe de presse peut-il, face à l’Histoire, donner librement et 
généreusement la parole –sans mise en garde critique, sans distance, 
sans droit de réplique–, aux négationnistes, aux falsificateurs, comme 
par ailleurs aux Ti Bobo, Mme Max Adolphe, Luc Désir, Boss Pint, Gracia 
Jacques, Claude Raymond, etc., désireux de célébrer avec fanfare les 
voluptés du régime carcéral de Fort-Dimanche ou celles des prisons 
privées des barons duvaliéristes ? (4)
 Aujourd’hui en Haïti est-il éthique de chanter les louanges du système 
totalitaire des Duvalier père et fils, sous couvert d’amnésie 
programmée, de compromissions non dites et d’acceptation résignée de la 
sous-culture de l’impunité ? Une nouvelle fois, le lecteur saura se 
faire une opinion d’autant plus que sur le marché de la communication, 
l’illusion d’un ancien monopole national de l’information, format 
papier, vole en éclat lorsqu’on la compare au potentiel d’Internet et 
des réseaux sociaux qui permettent de rejoindre instantanément des 
centaines de milliers de lecteurs partout sur la planète. Sans oublier 
qu’Internet permet aux lecteurs branchés, en Haïti, de diversifier 
amplement leurs sources d’information et de lecture critique. Il
 leur est aussi loisible de comprendre pourquoi la presse ne peut être 
réduite, telle une peau de chagrin, à l’anémique rôle de thermomètre de 
la société alors qu’elle exerce de manière constante son pouvoir 
d’influence. En tant que quatrième pouvoir, la presse est aussi un 
acteur des débats sociétaux, elle joue un rôle important dans 
l’édification d’un État de droit. Cela étant 
posé, l’essentiel des réponses aux quatre questions que je viens de 
formuler se donne à lire, entre autres, dans les pratiques de sélection 
alambiquées, de tri partisan sinon copineux –disons-le tout net : de 
censure idéologique et politique surtout –, mises en œuvre par 
l’actuelle direction rédactionnelle du Nouvelliste. Il est donc loin, 
très loin, le temps où la rigueur professionnelle de Carlo Désinor 
stimulait les jeunes journalistes haïtiens tout en modélisant leur 
vision de la société haïtienne.
Alors débattre publiquement, contre l’amnésie programmée pour tout un peuple, hors toute forme de censure clanique, du «délit d’apologie de crimes »connus, reconnus et amplement documentés qui sont le fait de la dictature des Duvalier père et fils, c’est déjà contrer hautement le forfait commis par saint Nicolas déchu, le fils et petit-fils des tyrans. Situer la commission du « délit d’apologie de crimes »
 dans le cadre de l’actuelle tentative de réhabilitation de Jean-Claude 
Duvalier c’est aussi contribuer, sans compromissions, au devoir de 
mémoire et au droit à la justice pour l’ensemble des victimes de la 
dictature des Duvalier père et fils.
[Robert
 Berrouët Oriol, linguiste-terminologue, poète et critique littéraire, 
est l’auteur de la première étude théorique portant sur « Les écritures 
migrantes et métisses au Québec » (Littéréalité, Toronto, et Quebec 
Studies, Ohio, 1992). Son avant-dernière oeuvre littéraire, « Poème du décours »
 (Éditions Triptyque, Montréal 2010), pour laquelle il a été finaliste 
du Prix du Carbet et du Tout-Monde, a obtenu en France le Prix de poésie
 du Livre insulaire Ouessant 2010. Ancien enseignant à la Faculté de 
linguistique d’Haïti, il est également coordonnateur et coauteur du 
livre de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions »
 -- Éditions du Cidihca, Montréal, et Éditions de l’Université d’État 
d’Haïti, 2011. En reconnaissance de son œuvre littéraire, le 
gouvernement du Canada l’a nommé en 2012 membre du Jury du Prix de 
poésie du Gouverneur général du Canada (section de langue française). Sa
 nouvelle oeuvre de fiction poétique, « Découdre le désastre suivi de L’île anaphore» est parue en mars  2013 aux Éditions Triptyque .]
[3]Robert Berrouët-Oriol : « Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le Nouvelliste d’Haïti – La tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier est un flagrant déni de justice ». Dans Potomitan : http://www.potomitan.info/ayiti/berrouet-oriol/duvalier.php 
[5]Haïti libre, 04/03/2013 : «Haïti – Justice : Propos de Mirlande Manigat sur l’affaire Duvalier  » : http://www.haitilibre.com/article-8014-haiti-justice-propos-de-mirlande-manigat-sur-l-affaire-duvalier.html)
[6]Radio Canada, entrevue du 5 mars 2011 : « Duvalier pourrait bientôt être accusé de crimes de  guerre »   : http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/03/04/008-crimes-guerre-duvalier.shtml)
[9]Source, Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_am%C3%A9ricaine_relative_aux_droits_de_l%27homme
[12]Agora de Themis, 11 mars 2013 : « Le délit d’apologie de crime contre l’humanité» : http://magalie-guerrero.over-blog.com/article-le-delit-d-apologie-de-crime-contre-l-humanite-crim-5-fev-2013-116088919.html)
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