Née le 18 février 1932 à Port-au-Prince, madame Magloire vient
d’une famille d’artistes et d’intellectuels de renom… Sa mère, Carmen
Brouard, compositrice ; son oncle, Carl Brouard, poète célèbre ; son
père, Jean Magloire, journaliste ; son grand-père paternel, Auguste
Magloire, historien ; son grand-père maternel, Raphaël Brouard, maire de
Port-au-Prince, mécène de la célèbre revue littéraire « Les Griots », fondée en 1938 et… pour couronner le tout, Diane, sa fille est musicienne.
Suivant douloureusement à la loupe, ce qui se passe en Haïti,
sa terre natale, l’auteure du magazine culturel, en vogue dans les
années ‘70, « Le fil d’Ariane », ne mâche pas ses mots, vis-à-vis de la situation socio-politique des compatriotes de son pays d’origine, «
… Je n’ai jamais eu envie d’aller en vacances en Haïti comme beaucoup
d’Haïtiens le font. Je ne pourrais y vivre en touriste. Trop de choses
m’indignent. Je trouve insupportable l’état du pays, la misère du
peuple. J’étais souvent en colère quand je vivais en Haïti… ».
Nadine Magloire publie, en 1967, le premier livre féministe haïtien, « Le mal de vivre »,
qui dresse un portrait au scalpel des rapports de genre en Haïti. Ce
livre, avant-gardiste des mouvements féministes internationaux, osa
parler de sexualité à partir d’une perspective féminine et fit grand
scandale à l’époque. Elle enverra le manuscrit à Simone de Beauvoir,
avec qui elle entretient une correspondance soutenue, à la sortie de ce
bouquin. C’est peut-être son féminisme à outrance, qui l’a fait dire,
dans cet entretien, « … L’homme haïtien est paresseux, les femmes sont bien plus courageuses et ont davantage le sens de leurs responsabilités… »
Très cultivée et se nourrissant de lectures, elle continua
de s’instruire dans différents pays. À Montréal, elle passa la dernière
année du secondaire (en philosophie) au lycée Marie-de-France et suivit
des cours de journalisme par correspondance. De 1955 à 1956, elle étudia
au Centre d’Études de la radiodiffusion-télévision française à Paris.
De retour à Port-au-Prince, elle suivit des cours à l’École Normale
Supérieure.
En 1975, l’auteure signa un deuxième roman, « Autopsie in vivo: le sexe mythique ». À nouveau, les mécanismes sociaux et les inégalités sexuelles sont représentés à travers des personnages qui démasquent non seulement la bourgeoisie haïtienne, mais aussi les milieux intellectuels.
Grâce à la magie de la grande toile, « Diasporama », cherchant les valeurs haïtiennes éparpillées à travers le monde, est fière de présenter un modèle rarissime à la jeunesse haïtienne, tant de la diaspora que du pays natal.
« Diasporama » rend un hommage publique à Madame Nadine
Magloire pour son œuvre, O combien immense pour la littérature
mondiale, elle saura ressasser ses réminiscences, à nulle autre
pareille, faisant du coq-à-l’âne, sans prendre la tangente, pour le
bonheur des fan-VIP de CANAL+HAÏTI, en prenant sa plus belle plume, dans
cet entretien exclusif pour la presse haïtienne.
Entrevue succulente, dédiée à la jeunesse haïtienne de partout…publiée par l'Agence Haitienne de Nouvelles: CANAL+HAITI, à chronique "Diasporama" à l’occasion de la « Semaine de la diaspora du 16 au 22 Avril 2012″, décrétée par le ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger (M.A.H.V.E.)
Nadine Magloire |
DIASPORAMA.- Madame Nadine Magloire, depuis quand avez-vous laissé Haïti?
Diane |
NADINE MAGLOIRE.- J’ai quitté Haïti pour la France en 1955 avec ma mère, la
pianiste et compositrice Carmen Brouard. Elle voulait parfaire ses
connaissances de la composition et m’avait emmenée avec elle. A Paris,
j’ai suivi des cours au Centre d’Études de la Radiodiffusion Télévision
Française. A l’époque je n’envisageais pas de quitter la France. Ma
fille, Diane, est née en 1958.
A causes des difficultés à trouver un
appartement (surtout avec un bébé et un piano,
celui de ma mère), j’ai dû la confier à une femme qui avait trois
enfants et habitait en banlieue de Paris. Après quelques mois j’ai jugé
qu’il était préférable de rentrer en Haïti. Ma fille commençait à
s’attacher à sa nouvelle famille et celle-ci ne pouvait l’élever comme
je le souhaitais.
Avoir un appartement semblait tout à fait impossible.
Ma mère aurait pu rester encore à Paris (elle avait vendu sa maison
pour se payer ce voyage d’études). Mais elle était déjà très attachée à
sa petite fille et a préféré rentrer avec nous en Haïti. Diane allait
devenir elle aussi une pianiste, élève de sa grand-mère. C’est à cause
d’elle que nous avons choisi de nous installer à Montréal. Ma mère
avait fait l’expérience qu’une carrière de pianiste était impossible en
Haïti.
DIASPORAMA.- Pour quels motifs avez-vous laissé Haïti ?
NADINE MAGLOIRE.- Personnellement, j’ai d’abord fait le va et vient entre
Port-au-Prince et Montréal, n’étant pas satisfaite du travail de bureau
dans une banque qui semblait mon lot, travail qui m’ennuyait
profondément. Mais j’ai dû me rendre à l’évidence.
En Haïti, je ne
pouvais rien faire d’utile pour mes compatriotes. Il y a eu l’épisode de
la soi-disant libération de la presse en 1977. Je collaborais à un
hebdomadaire qui s’est sabordé après un article contre les miliciens. Le
directeur attaqué dans la rue a failli mourir. De toute façon, le
comportement de certains membres de la presse écrite et parlée m’a
obligé à voir la réalité: il n’y avait aucune sincérité chez eux.
Je ne
peux pas m’étendre ici sur ce sujet. Il y a eu aussi ma tentative
d’avoir un magazine culturel « Le Fil d’Ariane ». Après quelques numéros, j’ai décidé d’aller rejoindre ma mère et ma fille au Canada.
DIASPORAMA.- Quelle relation développez-vous avec la communauté haïtienne de l’endroit ou vous vivez?
NADINE MAGLOIRE.- A Montréal, j’ai évité de fréquenter les Haïtiens. Ils y avaient transporté leurs batailles politiques. Dans les années 80, le Mouvement Desjardins avaient aidé quelques Haïtiens à implanter une caisse d’économie pour la communauté haïtienne. Des anti-duvaliéristes ont décidé de la boycotter sous prétexte que le Président (bénévole) était un duvaliériste et que l’argent de la caisse irait à Jean-Claude Duvalier.
L’absurdité d’associer le Mouvement Desjardins à Duvalier ne
les ont pas arrêtés. La caisse d’économie des Haïtiens n’étant pas
rentable a dû fermer. Moi-même j’ai été traitée d’espionne de Duvalier
parce que j’envoyais des articles au quotidien « Le Nouveau Monde »
que dirigeait mon père, Jean Magloire. Je parlais uniquement du Québec.
Vous comprendrez que j’ai finalement décidé d’oublier l’existence
d’Haïti.
En 2010, il y a eu le tremblement de terre. J’ai pensé qu’une
telle catastrophe provoquerait une prise de conscience chez les Haïtiens
et qu’ils comprendraient la nécessité absolue de construire un nouveau
pays. C’était l’occasion ou jamais. J’ai alors écrit certaines de mes
« lettres engagées » au sujet d’Haïti.
DIASPORAMA.- Quels pays avez-vous visité avant de vous établir définitivement au Canada?
NADINE MAGLOIRE.- J‘ai fait des séjours dans
divers pays. En 1950-51 j’avais passé une année à Montréal au collège
Marie de France où j’ai fait mon année de philosophie après le premier
bac haïtien. J’ai séjourné à Kingston (Jamaïque) en 1953 pour étudier
l’anglais. Alors que je vivais à Paris, j’ai fait quelques séjours à
Londres, en Suisse. Quand j’avais mon magazine « Le Fil d’Ariane »,
l’ambassade des États-Unis m’a envoyée à un séminaire concernant les
femmes de l’Amérique latine, au Costa Rica, un très beau pays, avec un
climat idéal. J’ai été plusieurs fois à New York. En 1980 j’ai fait un
dernier voyage en Europe: Paris, la Suisse, Vienne. J’ai envoyé une
série d’articles au « Nouveau Monde »: « Au Pays du Beau Danube Bleu ».
En 2005, pour le mariage d’une nièce, j’ai séjourné aux environs de
Détroit. Grande fut ma surprise de découvrir que cette ville que j’avais
toujours imaginée luxueuse, avec de grands édifices, puisque venaient
de là les grosses bagnoles américaines, était, en réalité, une ville
quelconque et presque en décrépitude.
DIASPORAMA.- Existe-t-il des associations pouvant défendre les intérêts des haïtiens là où vous êtes ?
NADINE MAGLOIRE.- A Montréal, les Haïtiens sont très bien organisés. Ils reçoivent beaucoup de subventions des Gouvernements canadien et québécois. Ils sont très actifs ici. En 2007 a paru sous la direction de Samuel Pierre et édité par l’ École Polytechnique de Montréal : « Ces Québécois venus d’Haïti », ouvrage qui mentionne la contribution des Haïtiens au Québec. Il a des lacunes. Ainsi est absente la compositrice et professeure de piano Carmen Brouard qui a enseigné à Montréal pendant plus de 25 ans et dont des œuvres ont été jouées dans plusieurs concerts.
DIASPORAMA.- Qu’est-ce que vous appréciez chez les canadiens et que vous aimeriez retrouver chez les haïtiens?
NADINE MAGLOIRE.- Je connais peu le ROC (Rest of Canada) comme disent les
Québécois qui sont très différents des « Canadians » et certains
voudraient se séparer du Canada. Je suis moi-même « souverainiste »,
considérant que tout peuple a droit à son indépendance. Je pense que les
Haïtiens auraient tout intérêt à voir dans le Québec un modèle. C’est
un pays où on a un profond respect de la démocratie. Je ne pense pas que
les Haïtiens savent vraiment ce que ce mot signifie.
D’autre part, les
Canadiens-français qui comptaient pour peu de chose dans leur province
ont accompli dans les années 60 ce qu’ils ont appelé « la révolution
tranquille », ayant décidé d’être enfin « maître chez eux ». Jusque-là,
après leur défaite aux mains des Anglais en 1760, ils s’étaient
complètement écrasés devant les Canadiens-anglais, se jugeant « nés pour
un petit pain ». Depuis, ils s’imposent au Canada et dans le monde.
DIASPORAMA.- Aimeriez-vous retourner vous établir définitivement en Haïti ? Si oui, sous quelles conditions ?
NADINE MAGLOIRE.- Il n’est pas question que je retourne en Haïti. J’ai 80 ans, 3 cancers et je circule en fauteuil roulant électrique. Je suis très bien soignée ici, gratuitement. Même si je ne peux plus faire grand chose, j’aime vivre à Montréal.
Les Haïtiens du Québec qui ont un bon
emploi n’ont aucun intérêt à retourner en Haïti. Certains, à la
retraite, y passent seulement les mois d’hiver. Pour jouir de
l’assurance-maladie il faut vivre un certain nombre de mois au Canada et
après 65 ans c’est alors que les soins gratuits sont les plus
nécessaires. Mais les Haïtiens, même s’ils sont installés ici
définitivement, vivent les yeux tournés vers Haïti.
DIASPORAMA.- Parlez-nous de vos bons et mauvais souvenirs d’Haïti ?
NADINE MAGLOIRE.- Mes bons souvenirs d’Haïti remontent à mon enfance. A
partir du moment où j’ai pris conscience de la réalité du pays, j’ai été
révoltée. Je n’ai jamais eu envie d’aller en vacances en Haïti comme
beaucoup d’ Haïtiens le font. Je ne pourrais y vivre en touriste. Trop
de choses m’indignent. Je trouve insupportable l’état du pays, la misère
du peuple. J’étais souvent en colère quand je vivais en Haïti.
DIASPORAMA.- Quels sont vos espoirs pour la jeunesse haïtienne de la diaspora ?
NADINE MAGLOIRE.- L’espoir pour Haïti ne peut venir que de la jeunesse.
C’est pour cela que les écoles sont les seuls possibilités de
changements. C’est avec les enfants qu’il faut commencer. Il est
indispensable de leur apprendre ce qu’est vraiment la démocratie, le
sens civique, l’amour de l’effort.
L’homme haïtien est paresseux, les
femmes sont bien plus courageuses et ont davantage le sens de leurs
responsabilités. Il faut inculquer aux jeunes de la fierté. Pas celle
venue de notre passé glorieux. Mais celle qui vient de nos propres
actes. Et la solidarité. C’est indispensable. C’est ce qui manque le
plus aux Haïtiens. Sans la volonté d’accomplir des choses ensemble, on
n’arrive à rien.
DIASPORAMA.- Quels conseils donneriez-vous à la diaspora haïtienne concernant son pays d’origine ?
NADINE MAGLOIRE.- Les Haïtiens de la diaspora qui ont de l’argent devraient l’investir en Haïti. Je pense à la romancière Han Suyin, chinoise d’origine, qui vivait hors de la Chine mais s’était fait un devoir de placer de l’argent en Chine, malgré le communisme qu’elle n’approuvait pas. Elle aimait son pays assez pour ne pas tenir compte du régime politique.
Les Haïtiens devraient prendre modèle sur cette femme qui se
souciait de son pays de la bonne façon. A Montréal, j’achète les jus de
fruits tels que goyave, mangue. Je trouve dommage qu’ils ne viennent
jamais d’Haïti.
Il y a bien des choses que le pays pourrait exporter
vers les lieux où vivent les Haïtiens de la diaspora. Mais il semble que
le pays ne produit plus grand chose. C’est terrible. Saint Domingue
était une colonie si prospère que la France y tenait absolument alors
qu’elle s’est facilement départie du Canada. Quelle manque de flaire de
sa part! Voltaire disait dédaigneusement de ce futur grand pays: « Quelques arpents de neige »!
DIASPORAMA.- Que pensez-vous de la présence de la Minustah en Haïti ?
NADINE MAGLOIRE.- Ne vivant pas en Haïti, je ne peux juger si la Minustah
est utile ou non. Mais il y a si peu de sécurité dans le pays. Les
choses ne seraient-elles pas pires sans elle?
DIASPORAMA.- Devrait-on remobiliser et réhabiliter les Forces Armées d’Haïti ? Pourquoi ?
NADINE MAGLOIRE.- Quand je suis allée au Costa Rica en 1978, j’ai pensé que c’est un pays où j’aimerais vivre si je parlais l’espagnol. Je ne conçois pas de résider quelque part où je vivrais en étrangère par rapport aux gens du pays.
C’est encore ce que font des Canadiens-anglais
qui ne se donnent pas la peine d’apprendre le français au Québec. Au
Costa Rica il n’y a pas d’armée. En Haïti, celle-ci n’a jamais servi
qu’à protéger un dictateur contre les gens du pays.
DIASPORAMA.- Les haïtiens devraient-ils rester indéfiniment sous la coupe de la communauté Internationale ?
NADINE MAGLOIRE.- Évidemment Haïti ne saurait rester indéfiniment sous la coupe des grandes puissances. Les Haïtiens devraient profiter de l’aide internationale pour construire un pays avec des structures solides matérielles, administratives, justiciaires, législatives, politiques.
Le
tremblement de terre a provoqué une grande vague d’empathie pour Haïti.
L’argent a afflué. Jusqu’ici, il semble que peu de choses a été fait.
Espérons que les Haïtiens sentiront l’urgence de la situation et
arrêterons leurs éternelles ‘politicailleries’ et ‘partisanneries’ dans
l’intérêt véritable du pays.
DIASPORAMA.- Nadine Magloire, avez-vous réalisé le rêve de votre vie, …le mot de la fin ?
DIASPORAMA.- Je n’ai certainement pas réalisé le rêve de ma vie. Dans mon roman « Autopsie in Vivo » paru en 2009 mon héroïne dit: « Je ne savais pas très bien en quoi consistait ma mission. J’étais hantée par la parabole des deniers. Mon passage sur cette terre ne pouvait être inutile. Je n’avais pas le droit de vivre tout juste pour moi-même. Le bonheur personnel n’était pas une raison suffisante pour donne un sens à l’existence. Ma vie ne rimerait à rien si je ne la justifiais en accomplissant des choses valables, valables pour l’humanité. J’avais une ambition démesurée ». C’était la mienne aussi. Mais les circonstances de ma vie ne m’ont pas permis de faire quoi que ce soit pour les humains. Et la plus part du temps, ceux qui en ont le pouvoir ne s’en soucient guère. Dommage.
DIASPORAMA.-Madame Magloire, DIASPORAMA et ‘CANAL+HAITI’ vous remercient pour votre support dans le
cadre du Mouvement de la Reconstruction d’Haïti, de la liberté
d’expression, de la liberté de la presse et de la Semaine de la
diaspora.
Propos recueillis par Andy Limontas pour la Chronique « Diasporama »
de CANAL+HAITI: « l’Agence haitienne de Nouvelles »
DIASPORAMA/CANAL+HAITI/ Tous droits
réservés@avril 2012
2 commentaires:
Quels souvenirs !!!!
J'ai été membre et bénévole à temps partiel à la Caisse d'Économie des Haïtiens de Montréal sur Jean-Talon à l'est de Viau....
J'ai été très peiné lorsque j'ai appris la fermeture de la caisse début années 80...
Je ne savais même pas que plusieurs Haïtiens associaient la Caisse au duvaliérisme... Étant moi-même anti-Duvalier, je ne serais pas resté à la Caisse si cette "association" était fondée...
Normand Martel
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