lundi 1 octobre 2012

Madeleine Bégon-Fawcett dit toute la vérité…Interview exclusive!


 « Entre la démence et la lucidité, un grain de sel suffit à faire basculer les âmes. »
 
(Frankétienne, Les Affres d’un défi)


« Noumenm entèlektyèl ak politisyen lavil ki reskonsab, depi tout bembo, tout dezagreman lobèy tchouboum lan peyi Dayiti »(Piram).

[Vous, intellectuels et politiciens des villes, vous avez toujours été à l’origine des grands malheurs d’Haïti]

(Frankétienne, «  Pèlen Tèt »)



Originaire du Département du Sud d’Haïti, la vocation première de Madeleine Bégon-Fawcett est surtout  l’éducation et l’enseignement.  Elle adore transmettre aux autres … Plus de 30 années de carrière dans ce domaine. A ce sujet,  l’éducatrice est très critique vis-à-vis de l’enseignement en Haïti…  « Le système éducatif fait de nous des «bossus» dans tous les sens du terme! … »

M.B. a fait des études en Psychologie-Sociale à l’Université du Québec à Montréal. Elle a aussi suivi des cours en technique de mise en scène et décroché un baccalauréat en lettres françaises à l’Université d’Ottawa. Elle s’est aussi dotée d’une formation spécialisée (ASP) en vue de  la mise en place de son projet de télévision multiethnique en français « l’AUTRE TV », au Québec.  Ses études de premier cycle de formation ont été entreprises en milieu de travail à l’UQÀM , elle étudia en techniques de ventes et financement immobiliers, Langage des signes du Québec (LSQ), l’alphabet braille, technique d’écriture et de mise en scène au Conservatoire Lassalle…

Madame Bégon-Fawcett est une intellectuelle canado-haïtienne de grande envergure qui compte  plusieurs cordes à son arc, en tant que Journaliste, écrivaine, dramaturge, metteur-en-scène, comédienne, psychologue, sociologue, philanthrope, éducatrice… pour ne citer que ces compétences !
Elle laissa Haïti précipitamment , pour la première en 1983,  « …dans la foulée de violence gouvernementale d’alors contre les journalistes, artistes et autres groupes dits subversifs qui osaient dénoncer la mainmise des dirigeants d’alors sur la liberté d’expression, d’association et autres droits humains… »

A Montréal, Madeleine Bégon-Fawcett a participé à l’éclosion et au développement de sa communauté d’origine dans différentes sphères d’engagement communautaire,- luttes de revendication sociales et politiques des années 80, luttes pour la reconnaissance des droits de ses compatriotes …- mais elle est également une haïtienne fière de son pays d’origine et qui a gardé jalousement  la culture de son patelin, la ville des Cayes où elle a grandi.

Cette mère de famille de six enfants, qui voulait en avoir dix, pense au bien-être de ses jeunes concitoyens et concitoyennes restés au pays natal: « … Je travaille sur l’ajout d’un secteur professionnel au sein de l’ « Académie Canado-Haïtienne » à Port-au-Prince…(…)… Mon rêve, c’est de mettre au service des jeunes du secteur une école de qualité afin qu’ils puissent, à leur sortie vers l’âge de 19 ans, posséder une formation professionnelle leur permettant de subvenir à leurs besoins et de contribuer au développement de leur pays qui est aussi le mien ! …(…)… À mon humble niveau, je participe à bâtir les fondations de la nouvelle société haïtienne en y apportant ma contribution à l’éducation espérant que les générations qui nous suivent soient différentes de nous en matière de comportement et d’engagement citoyen… »

Madeleine Bégon-Fawcett annonce la couleur et n’y va pas avec le dos de la cuillère, dans cette longue interview exclusive où elle fera des révélations inédites sur son conflit avec la comédienne canado-haïtienne Fabienne Colas… « «diversité-tv» n’est qu’un dérivé sémantique (parasite) forgé de « L’AUTRE TV »…(…)… Si les lobbyistes devenaient des pieuvres et gobaient tous les projets dont ils sont informés ou qui leur sont confiés en se basant sur leur carnet d’adresses pour aller chercher les subventions en leurs noms?… »

…L’auteure de « Deblozay » ne mâche pas ses mots concernant l’attitude que la diaspora haïtienne devrait adopter au sujet de sa terre d’origine…  « … Nous devons continuer la bataille pour la reconnaissance de nos droits de citoyens à part entière et ne plus accepter de n’être que des pourvoyeurs portant à bout de bras l’économie d’un pays qui nous radie et nous méprise quand vient le temps d’en être participants… »

Bref, suivez cette conversation à cœur ouvert, sans détour,  avec Madame Madeleine Bégon-Fawcett, afin de lui rendre un hommage bien mérité, pour sa contribution à la cause haïtienne dans plusieurs domaines, tant en Haïti qu’au Canada…



DIASPORAMA.- …Madame Madeleine Bégon-Fawcett, vous vivez depuis plusieurs années à Montréal,  Québec. Depuis quand, pour quels motifs et dans quelle(s) condition(s) avez-vous laissé votre pays d’origine pour vous établir définitivement au Canada?

MADELEINE BEGON-FAWCETT.- J’ai quitté Haïti pour la première fois en 1983, dans la foulée de violence gouvernementale d’alors contre les journalistes, artistes et autres groupes dits subversifs qui osaient dénoncer la mainmise des dirigeants d’alors sur la liberté d’expression, d’association et autres droits humains. Je venais de commencer ma carrière d’enseignante à Caroline Chauvreau et chez le Filles de Marie d’Élie Dubois où j’ai étudié.


DIASPORAMA.- Pouvez-vous nous parler un peu de vos activités professionnelles et universitaires?

MADELEINE BEGON-FAWCETT.- Ma formation initiale est dans le domaine de l’éducation, j’adore transmettre aux autres et apparemment je le fais bien, peut-être parce que je le fais avec tout mon cœur ! J’ai travaillé dans ce domaine en Haïti comme enseignante et comme responsable départementale.  J’ai eu le privilège de travailler au lancement du projet –pilote de «scolarisation universelle» dans le Plateau central en 2000.

A mon retour ici au Québec où je vis depuis, je conçois des matériels d’enseignement du français pour les jeunes et de francisation destinés aux  adultes (nouveaux arrivants). Après plus de 30 années de carrière, j’ai toujours la même passion pour la langue française et pour l’enseignement que je considère comme ma vocation première.

Par ailleurs, j’ai étudié en intervention psychosociale à l’Université du Québec à Montréal (certificat en 2009), car je travaille aussi dans cette filière d’accompagnement auprès des jeunes mères en difficulté. Pour meubler et encadrer mon imaginaire de dramaturge, j’ai suivi des cours en technique de mise en scène et fait un baccalauréat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa (2004). Toujours dans ma compréhension de l’apprentissage personnel dans le but de transmettre, j’ai eu une formation spécialisée (ASP) pour la mise en place de mon projet de télévision multiethnique en français au Québec l’AUTRE TV en 2009 pour finalement effectuer des études de premier cycle de formation en milieu de travail à l’UQÀM en 2011. Cette dernière m’habilite à offrir des ateliers spécialisés sur des sujets et thématiques ponctuels. Je vous fais grâce des autres formations toutes complémentaires qui m’ont aidée à être cette personne de pratiques professionnelles multidisciplinaires que je suis aujourd’hui ! Je suis dans mon élément tant dans une salle de classe qu’avec un groupe faisant de la mise en scène, devant ou derrière une caméra ou un micro.


DIASPORAMA.- Quelle relation développez-vous avec  la communauté haïtienne de l’endroit où vous vivez?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Dès mon arrivée ici, je me suis inscrite dans la logique du travail de proximité. J’aime les gens, leur contact m’aide à m’épanouir et m’ouvre vers d’autres horizons. J’ai travaillé en éducation, dans le milieu communautaire, en accompagnement. J’ai participé à l’éclosion et au développement de ma communauté d’origine dans différentes sphères d’engagement communautaire, luttes de revendication sociales et politiques des années 80, luttes pour la reconnaissance de nos droits en tant que citoyens d’ici, luttes culturelles pour exister et perler de nous  (théâtre au sein de la troupe « Les amants de la littérature haïtienne » commencée en Haïti en 1976 avec Fénelon Rodriguez «Bonbon» qui s’est poursuivie jusqu’à sa mort à Montréal. J’ai aussi eu le privilège de partager avec ma communauté et la société d’accueil mes réflexions à travers ma dramaturgie. Je crois que je suis respectée au sein de ma communauté et je le lui rends bien.

Existe-t-il des associations pouvant défendre les intérêts des haïtiens là où vous êtes, si oui, en bref, que font-elles de concret ?
J’ai vu naître la majorité des organismes communautaires d’ici et y ai travaillé. Au tout début il y eut le bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal avec Paul Déjean, Jean-Claude Icart, Rosemay Eustache et les autres intervenants, le SANQI avec Kéder Hyppolite, Serge Bien-Aimé, ensuite il a la Maison d’Haïti avec madame Célitard Toussaint et Marjorie Villefranche l’actuelle directrice, il y a aussi « Le Centre N’a Rivé » et le Centre des jeunes L’ouverture de Montréal-Nord avec Félix Saint-Élien, le Centre Haïtien d’animation et d’intervention sociale (CHAIS) avec Jean-Claude Parfait, Jacques Duviella, Henry Alphonse, Rachel Magloire, Magali Marcelin, Hérard Pauyo et les autres, ce centre est actuellement sous la direction de Jean Durandisse, j’ai moi-même participé à l’ouverture du Centre Socio-Culturel Pie-IX qui est devenu Le CEAF de Rivière-des-Prairies, il faut aussi mentionner le Centre Jean-Paul Lemay avec Roger Petit-Frère.

En matière d’encadrement, que bien qu’il y ait eu un peu d’éclatement au sein de certains organismes, la communauté haïtienne est relativement bien représentée et possède les voix valables pour la représenter au sein de la société d‘accueil.


DIASPORAMA.-  Qu’est-ce que vous appréciez chez les canadiens et que vous aimeriez retrouver  chez les haïtiens?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  Le respect de la vie, le respect et la protection des plus faibles, leurs structures en général ainsi que leur pragmatisme. Leur capacité à reconnaître leurs erreurs et à faire amende honorable sans commune mesure et sans rancune comparé à notre refus d’accepter nos faiblesses et nos erreurs.  Lorsque j’ai au à fréquenter leur système éducatif, ce fut le bonheur total de découvrir que «le travail d’équipe» était la constante alors que dans le nôtre c’est la perpétuelle inconnue ! Imaginez que dès le premier cours, le prof nous demande de former les équipes une fois les présentations initiales effectuées alors que chez nous, le système éducatif fait de nous des «bossus» dans tous les sens du terme! Vous souvenez-vous de la dernière dictée faite à l’école ? Dans quelle position nous étions assis vous et moi par rapport à notre voisin de pupitre ?

Alors, voilà le secret de notre incapacité à reconnaître nos forces, accepter nos faiblesses et concevoir que la réussite est de toute éternité une question d’équipe et que nos faiblesses alliées aux forces des autres nous garantissent le succès. On nous a inculqué que la réussite est INDIVIDUELLE et que pour réussir, il faut BARRER la route à l’autre ! Quelle philosophie archaïque et égoïste, et dire que les choses n’ont pas beaucoup changé…La forme pronominale du verbe «excuser» aux premières personnes du singulier et du pluriel n’existe pas pour nous.

 Cette pédagogie individualiste de la dictée alliée aux «pensées de la semaine» qui nous étaient étalées sur le tableau noir et que nous ingérions (subliminalement) en les inscrivant sur nos cahiers en disent long sur notre passé de groupes, d’agrégats…dois-je dire de peuple, qui se cherchent depuis plus de deux siècles. Alors que nos ancêtres ont flanqué à la face du monde leur capacité à dépasser l’individualisme crasse, celle-ci nous étreint aujourd’hui, encore car nous étalons sans pudeur à la face de ce même monde nos luttes fratricides. Vous souvenez-vous de ces petites pensées qui de façon subliminale ont tracé les méandres de notre futur comportement citoyen ? «Aide-toi le ciel t’aidera »… »Chacun pour soi et Dieu pour tous »… « La raison du plus fort est toujours la meilleure »…et nous pourrions en citer d’autres ! Comment voudriez-vous qu’un système éducatif évacue pendant 18 années le travail d’équipe produise des citoyens concernés par leurs proches et par leur pays ? J’ai été aussi surprise à mon arrivée ici par la discipline et la discrétion de ce peuple.


DIASPORAMA.- Quels genres de difficultés rencontrez-vous au «Pays de l’érable »?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Évidemment tout n’est pas «rose» (jeu de mots) au pays de l’érable comme vous le dites ! Les débuts sont souvent, voire même difficiles si on ne dispose d’aucune aide à l’accueil. Il faut accepter la dégradation de sa situation sociale, économique, des fois il faut même s’oublier, et oublier qui on était afin de faire le vide, de faire le point et avancer. Les études sont souvent à recommencer et nos expériences professionnelles ne sont pas automatiquement reconnues, c’est difficile à accepter. Une fois les premiers moments passés, on comprend mieux le système et on avance. Il y en a qui refusent ces efforts et prennent des tangentes, parfois ça leur réussit mais d’autres fois, ça dure le temps que ça dure…les études sont toujours les meilleures garanties de travail et de respect dans un monde normal vous savez…


DIASPORAMA.- En ce moment, comment sont vos rapports avec « Haïti-Chérie » ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Vous savez, je le dis aujourd’hui en riant, car j’ai appris à apprivoiser mes peurs, mes échecs pour mieux en profiter. Je suis personnellement retournée en Haïti DÉFINITIVEMENT à trois reprises comme plusieurs compatriotes ! Et je n’ai pas dit mon dernier mot car Haïti chérie, c’est comme ce qu’on appelle en créole «un gaz» qui se coince entre votre cerveau (survie, famille, travail) et votre cœur ! Pendant 10 années (1991-2001), j’ai quelque peu brassé mes enfants : changement d’environnement social, scolaire etc… dans ma quête de la terre natale, en bouleversement sociopolitique profond depuis un quart de siècle.

Partant de ce fait et ayant compris que mes enfants en avait un autre pays natal, le Québec, le Canada, j’ai décidé de prendre une pause «famille» pour leur permettre de souffler des 20 dernières années. De temps en temps, je ressens ce petit pincement, particulièrement lors des catastrophes et vers septembre-octobre où je suis convaincue d’être plus utile en Haïti qu’ici. Je suis  impliquée dans différents autres projets ici, j’essaie de me sauver de ce dilemme…j’essaye fort croyez-moi, c’est difficile…vraiment.


DIASPORAMA.-  Quels genres de support apportez-vous, à votre pays d’origine ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  Je travaille sur l’ajout d’un secteur professionnel au sein de l’ « Académie Canado-Haïtienne » à Port-au-Prince. Nous devions commencer avec le lancement du troisième cycle fondamental en septembre 2012, mais certains contretemps nous ont été défavorables. Il existe de ces oiseaux de malheur qui vous arrivent inopinément mais cela finira bien par se tasser comme on dit. Mon rêve c’est de mettre au service des jeunes du secteur une école de qualité afin qu’ils puissent, en sortant vers l’âge de 19 ans, posséder une formation professionnelle leur permettant de subvenir à leurs besoins et de contribuer au développement de leur pays qui est aussi le mien ! La richesse c’est plus que des zéros sur notre compte bancaire vous savez, c’est aussi et surtout de participer à l’éclosion et au maintien du bien commun. À mon humble niveau, je participe à bâtir les fondations de la nouvelle société haïtienne en y apportant ma contribution à l’éducation espérant que les générations qui nous suivent soient différentes de nous en matière de comportement et d’engagement citoyen. Pair ailleurs, nous avons tous des parents en Haïti.

DIASPORAMA.- Vous faites une intéressante expérience avec l’école ACCESSIBLE que vous dirigez en Haïti (L’Académie Canado-Haïtienne), parlez-nous succinctement de vos difficultés et de vos espoirs dans ce domaine.

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Les premières difficultés sont venues des parents au début du projet. Nous avions dit dans nos premiers feuillets publicitaires que c’était une école «communautaire» Il n’en fallait pas plus pour soulever les foules…qui bizarrement sont ceux que nous sommes allées aider ! J’adore la fierté de mes concitoyens ! Cette forme de «granpanpan» comme dirait FrankÉtienne et Maurice Sixto qui nous amène à aller chercher les pelures de bananes jaunes dans les vidanges du voisin aisé et à l’exposer au haut des nôtres… beaucoup de difficultés financières au sein de notre population, mais il ne faut pas le dire, il ne faut pas que cela se sache et surtout pas, n’est-ce pas ? Alors, nous avions dû revoir le mode de fonctionnement ainsi que l’appellation de l’école, le terme «communautaire» ne convenait pas !


Autre difficulté : la bataille pour faire accepter la cantine par les parents, il a fallu que j’en invite quelques – uns, que je mange avec eux, que mes enfants fréquentent l’école et y mangent pour les convaincre ! Ça a marché  et maintenant, on est fier de dire que nous offrons un repas chaud aux enfants de 3-12 ans qui fréquentent l’Académie canado-haïtienne! Notre taux de réussite aux examens officiels de sixième année est de 100 % ! On avance…

Présentement et depuis les débuts, nous portons à bout de bras ce magnifique projet, aidés par la contribution des parents, d’amis sur le terrain et d’ailleurs. Il n’existe aucun support gouvernemental. Nous parvenons à payer les professeurs tous diplômés et expérimentés ainsi que le personnel de soutien qui nous accompagnent. D’ici, j’amène du matériel scolaire, des articles divers destinés aux parents et aux enfants. J’y vais au moins trois fois par année histoire de voir comment vont mes enfants.


DIASPORAMA.-  Parlez-nous un peu du « Projet L’Autre TV » qui est en phase de concrétisation?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Ce projet ! Ce projet ! L’Autre TV est né de mon habitude d’observer ce qui se passe autour de moi et de mon refus de toute forme d’injustice! J’ai vécu au Québec entre 1983 et 1991. J’y suis retournée en 2001 après un séjour en Haïti. En regardant ce qui s’y faisait comparé à l’environnement démographique, j’y ai constaté un sérieux décalage. Sur les écrans du Québec multiethnique, multicolore dont l’économie est portée depuis la colonisation par des immigrants venus de partout, il y avait que très peu de non-blancs tant dans les contenus que parmi les présentateurs. On voyait toujours les mêmes visages de minorités désignés ponctuellement intervenir sur des sujets présélectionnés, ceux que nous appelons les «échantillons». Ces mêmes grandes chaînes qui ne jugent pas forcément nécessaire ni pertinent de montrer la diversité des voix, des visages et des compétences. Les scénaristes nourriciers de ces chaînes (financés par les taxes de tous) ne tenaient pas compte de cette multiplicité de faces et de compétences disponible. Par contre, toutes ces chaînes recourraient aux produits étrangers, majoritairement américains afin de varier leur grille de programmation et montrer un peu de «couleur»…


Il y a donc un problème : Tous sont conscients du vide, du manque mais personne n’est prêt à agir de l’intérieur pour le combler. Les contenus, téléséries, films et autres produits typiquement québécois semblent s’accrocher à un Québec rural des années 40 qui ne reviendra plus. Les rares fois -excluant la série « Lance et compte », version originale où l’on voyait une actrice dans un environnement de travail – avant 2010, on glissait un immigrant, minorité visible, linguistique, religieux ou autre  dans de courts rôles, très souvent stéréotypés et traduisant la vision québécoise des communautés de la diversité dont les membres se trouvent cependant dans tous les milieux socioprofessionnels…

En 2008, je me suis donc mise en mode consultation auprès des autres groupes minoritaires, des autres communautés ethnoculturelles afin de valider ma propre compréhension de la réalité sectaire mitigée du paysage médiatique du Québec francophone. Mon bâton de pèlerin en mains, j’ai traversé la province afin de recueillir les mots des uns et des autres sur cette situation d’inexistence dans les contenus et sur les écrans de notre terre d’accueil commune. Ma quête de validation de cette réalité dura 3 ans.
J’ai suivi un cours en lancement d’entreprise (2009) afin de mieux articuler mon projet qui est passé de communautaire à privée vu le contexte économique. Après 4 ans de travail effectué par une équipe multidisciplinaire et concerné par le même besoin, nous avions finalement déposé le dossier auprès d’un consultant en communication pour finalisation et dépôt auprès du CRTC, les autorités canadiennes en la matière. Et vinrent l’esclave domestique et son colon…


DIASPORAMA.- Vous faites régulièrement la navette entre Haïti et le Québec. Aimeriez-vous retourner vous établir  définitivement en Haïti ? Si oui, sous quelles conditions ?


MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Je vis entre Haïti et le Québec et c’est un choix délibéré. Mes obligations de part et d’autre de l’océan me mettent souvent dans mes petits souliers car je suis amoureuse à la fois du Québec et de mon pays d’origine et je voudrais me fendre en deux pour que chacun ait leur juste part. J’avoue que ce n’est pas toujours facile. Présentement j’ai mis sur la glace deux projets en route là-bas : le volet professionnel de l’ « Académie canado-haïtienne », l’implantation de l’école d’informatique, le café-Internet, etc.  Je travaillais aussi sur un projet d’ateliers de formation en cinéma avec un réalisateur haïtien dans lequel je crois beaucoup, le mobilier y est déjà, il finalisait le matériel d’enseignement, tous ces services dont les structures physiques sont en attente depuis l’été 2011.
 Je retournerai en Haïti  comme d’habitude, deux ou trois fois par année en attendant mon retour définitif. Des conditions pour mon retour ? Je voudrais pouvoir sortir en plein jour sans voir dans le regard de chaque compatriote un potentiel agresseur et me coucher le soir sans trembler au moindre bruit de pas. Les conditions de mon retour en Haïti sont celles que je m’imposerai mais il ne fait aucun doute dans ma tête : j’irai vieillir et mourir sur mes terres dans le sud !


DIASPORAMA.- Parlez-nous un peu de vos bons et mauvais souvenirs d’Haïti ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Mes bons souvenirs d’Haïti : mon enfance aux Cayes, les contes d’angélus, mes longues marches les pieds dans l’eau de mer de la ville des Cayes jusqu’à Bourry en passant par Gelée, les mangues, les quenêpes et les sapotilles dont je raffole, les bains de minuit… le début de mon adolescence, Radio Cacique où j’animais une émission de chansons françaises et ou`je pouvais faire des dédicaces…

 Mes pires souvenirs : la fin de mon adolescence, les moments d’inquiétude face à l’avenir, l’angoisse des nuits où nous nous cachions après une représentation théâtrale pour ne pas se faire prendre par les sbires du ministère des affaires sociales d’alors qui censurait toute production artistique dite subversive. Le thème musical de Radio-Haïti Inter et de Radio Cacique qui nous annonçait lequel de nos camarades avait été arrêté, battu ou tué au cours des dernières 24 heures…le besoin de dénoncer et la peur aux tripes de se faire couper la langue comme ce fut le cas de certains…l’attente…l’attente de pouvoir se sauver de mon pays devenu l’enfer. Mes pires souvenirs d’Haïti, je les ai vécus dans ma chair et dans mon âme au printemps 1992 à la faveur du coup d’état et entre janvier et avril 2003.


DIASPORAMA.-  Et ceux du Canada… ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  Mes pires souvenirs du Canada ? ce sont ceux du début, difficile et ardu. Mais aucun ne surpassera jamais la période entre novembre 1983 et février 1984 ou`j’ai fait la connaissance de «madame Fito», infirmière haïtienne chez qui j’ai travaillé comme gardienne d’enfants…et qui du piédestal de sa supériorité d’être arrivée ici avant moi, s’est confortée dans une forme d’ignorance, d’arrogance outrancière de ce qui pouvait faire de moi un être humain…Imaginez que durant 4 mois, cette dame avait décidé que j’étais analphabète et se comportait avec moi en fonction de cette prémisse, imaginez que je me suis tue pour laisser tout l’espace à sa bêtise. Si le mot colon avait son pendant féminin, il lui siérait parfaitement tant pour son comportement avec moi qu’avec sa propre mère condamnée telle jadis l’esclave à gésir dans son sous-sol mal chauffé et interdite de communiquer avec ses petits-enfants, déficit linguistique justifiant les faits. Alors, moi qui ai trainé ma bosse à la fois dans les manufactures que chez d’autres nationalités en attendant d’avoir obtenu en 1986 mes papiers légaux d’une décision (mesure) du parti Québécois, je vous jure que «madame Fito» est imbattable dans le domaine de la colonisation de ses compatriotes. imaginez la suite…ce jour de février où elle apprenait que j’étais professeure de français en Haïti ! Voyez-vous, en y repensant, je crois posséder une grande capacité à laisser les sottes gens se noyer dans leur analyse superficielle de la personne et de la personnalité que dissimule ma carcasse. Leur réveil m’amuse toujours. Ce qui m’amène à vous parler de mes beaux souvenirs :

 La naissance de mes enfants, le 30 juin 2004 en fut un autre car après une année d’angoisse, un membre de ma famille a pu enfin respirer à son arrivée ici, et, le meilleur pour la fin : le soir de la première de «Déblozay / Parlons-en», ma toute première pièce de théâtre dont le thème fut mon merveilleux et instructif périple chez «madame Fito»…standing ovation, trois soirs de suite, salle comble tant au Québec qu’aux États-Unis ! La dramaturge que je suis aujourd’hui a trouvé son élément déclencheur dans les catacombes du sous-sol pavé de souffrance de ma compatriote…que je remercie en passant de m’avoir appris à dépasser mes limites du supportable pour pouvoir en parler en temps et lieux…



DIASPORAMA.-  Quels sont vos espoirs pour la jeunesse haïtienne  d’Haïti?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  J’ai pleinement confiance en la jeunesse de mon pays, plus que dans les générations qui m’ont précédée  et dont je suis. J’ai eu la chance de visionner en primeur un documentaire de Moïse Kharméliaud qui a renforcé mon espoir que cette jeunesse nous offre l’occasion de croire encore dans la possibilité d’une autre Haïti. Nous devrions les écouter, les encourager, les accompagner sans les forcer à marcher dans nos traces défectueux d’adultes égoïstes formés à l’école de la réussite individualisée et individuelle. Sans sa jeunesse, Haïti serait perdue.


DIASPORAMA.-  Quels sont vos espoirs pour la jeunesse haïtienne de la diaspora ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  Depuis le séisme, je suis agréablement surprise par toutes les initiatives de cette jeunesse dont certains membres n’avaient ou n’ont jamais visité Haïti qu’elle revendique comme SA terre. De ce point de vue, je suis confiante que l’avenir d’Haïti se dessine beaucoup plus optimiste avec nos enfants nés à l’extérieur qu’avec nous des générations passées qui n’arrêtons pas de galvauder nos liens avec «Papa Dessalines».


DIASPORAMA.-  Que pensez-vous de la présence de la Minustah en Haïti ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-   Au début des années 90 lorsque cette Mission est arrivée, je croyais, comme beaucoup d’autres d’ailleurs que le nom définissait le rôle : la mission devait stabiliser une situation instable pour s’en aller ensuite. Mais l’instabilité s’étant érigée en système, la Mission de stabilisation s’est incrustée…et a mué en force stable et fait des petits…puisque nous éprouvons tant de misère à former nos policiers et dansons nuit après nuit la danse du crabe. Je me demande encore si ce volet de formation professionnelle des policiers dont on entendait parler de temps en temps figurait dans l’agenda. Si tel était le cas, après plus de 18 ans, nous aurions eu une force de police nationale formée à répondre au moins aux besoins de la population lors des catastrophes naturelles. En passant, ce serait un bon sujet de reportage : répertorier les enfants de la MINUSTHA en Haïti…juste une «idée!»


DIASPORAMA.-  Quels conseils donneriez-vous à la diaspora haïtienne concernant son pays d’origine ?
MADELEINE BEGON-FAWCETT .-   Nous devons continuer la bataille pour la reconnaissance de nos droits de citoyens à part entière et ne plus accepter de n’être que des pourvoyeurs portant à bout de bras l’économie d’un pays qui nous radie et nous méprise quand vient le temps d’en être participants. Parler d’Haïti à nos enfants, leur transmettre les meilleurs éléments de notre culture.


DIASPORAMA.-  Madeleine Bégon, avez-vous réalisé le rêve de votre vie ?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-   Je dirais partiellement. Je voulais avoir dix enfants mais n’en ai que six…j’imagine que ce sera pour ma prochaine incarnation…il me faudra revenir pour continuer mon travail d’âme avec les quatre autres que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer au cours de ce passage dans cette dimension-ci. Pour le reste, je crois que tout ce que mon esprit peut imaginer ou concevoir peut se réaliser, alors, j’ai d’autres rêves. Après tout, la vie ne commence-t-elle pas à 40 ans ? Je vois poindre quelques cheveux blancs, c’est signe que je vais commencer à vivre !


DIASPORAMA.-  …Oh ! Nous avons 3 dernières questions pour vous…et pas des moindres…

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-Pourquoi avais-je l’impression que ce n’était pas fini? … (rires)

DIASPORAMA.-  Vous êtes en plein procès avec la comédienne Fabienne Colas pour « plagiat d’idée », à quel niveau se trouve ce débat juridique… A quel dénouement attendez-vous de cette singulière histoire…parlez-nous en long et en large de la genèse de cette affaire?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-(soupires) …Pour répondre à cette question je dois d’abord rectifier pour vous les termes «plagiat d’idée». Une idée est virtuelle, non inscrite sur un support matériel transmissible. Ce qui est loin d’être le cas du projet de télévision multiethnique en français « l’Autre TV ». Ce projet a été soumis à consultation publique depuis 4 ans, en 2011, les actes sont consignés sur divers supports papiers déposés en preuve en plus de nos enregistrements audios et vidéos.


DIASPORAMA.-  Maintenant, vous avez en main la licence (autorisation de fonctionner) du Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRTC)… Comment voyez-vous une compétition entre « DiversitéTV » de Fabienne Colas et « L’AutreTV » de Madeleine Bégon-Fawcett?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .-  La concurrence/compétition suppose deux objets de même nature…une orange ne sera jamais en concurrence avec une mangue. Il faut faire attention pour ne pas confondre concurrence avec «parasitisme» ou «parasitage». C’est du «surfing» mon ami, la bonne vieille technique du figuier maudit

  En passant, «diversité-tv» n’est qu’un dérivé sémantique (parasite) forgé de « L’AUTRE TV » et de son slogan depuis 2009: la voix de la diversité,  signature électronique figurant au-bas de tous mes messages (courriels). Par ailleurs, je ne me suis jamais vue comme concurrente d’organisateurs d’évènements qui normalement seraient des partenaires et que je supportais d’ailleurs car je suis une créatrice de contenus d’évènements.

  Si les lobbyistes devenaient des pieuvres et gobaient tous les projets dont ils sont informés ou qui leur sont confiés en se basant sur leur carnet d’adresses pour aller chercher les subventions en leurs noms? Pourquoi Céline Dion a-t-elle prénommé son fils Eddie?! À chacun ses talents ses forces et ses limites. Moi, je connais les miens ainsi que mes domaines de compétences. À moins de se contenter d’empiler des projets mort-nés ou d’amalgamer du bouillon réchauffé, ce que notre Grand FrankÉtienne appelle du «bleng-bendeng», un projet ça se prépare.

  Puisque vous parlez de ce cas que je trouve triste et honteux pour notre communauté, aviez-vous eu accès à notre affidavit? Aux documents supportant notre plainte? Avez-vous eu copie des documents déposés en défense? Aviez-vous lu les énoncés des deux licences octroyées par le CRTC? C’est vraiment regrettable de voir ce qui se publie autour de cette affaire. Certaines décisions de juge semblent PLUS VALABLES que d’autres alors qu’elles portent les mêmes sceaux d’un système de justice UNIQUE. Il se peut que mon niveau de compréhension de la langue française soit en-deçà de la moyenne et que ses subtilités m’échappent. Autrement, les interrogatoires préliminaires débutés et interrompus le 02 mai dernier (après la décision du 13 avril du Juge Chabot concernant la mesure de sauvegarde) se poursuivent sur ordre de la Cour Supérieure du Québec en date du 14 juin 2012. Nous attendions la confirmation d’une des 3 dates du mois de septembre 2012 proposées par nos procureurs pour interroger la concernée, mais les interrogatoires des concernés auront lieu vers la mi-octobre, d’après ce que je viens d’apprendre auprès de qui de droit.  Le dossier judiciaire suit son cours et ce sera à la justice de trancher.



DIASPORAMA.-  Quand comptez-vous démarrer avec les premières émissions d’essai?
MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Bien que fortement contrarié dans notre agenda par ce malencontreux acte de sabotage irresponsable et la destruction volontaire de notre travail des quatre dernières années, nous y voyons et ne donnerons pas de date pour le moment.



DIASPORAMA.-  Un dernier message au peuple haïtien de l’intérieur et de l’extérieur?

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Gardons en mémoire la lutte de nos ancêtres ainsi que la devise inscrite sur notre drapeau «L’union fait la force». Apprenons à apprécier le travail des autres, à respecter nos limites, à reconnaître que la réussite est plus grandiose quand elle est collective. « Se katèl ki bat »…


DIASPORAMA.-  Madame  Madeleine Bégon, ‘CANAL+HAITI’  vous remercie pour  votre support dans le cadre du Mouvement de la Reconstruction d’Haïti, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.

MADELEINE BEGON-FAWCETT .- Tout le plaisir est pour moi. Félicitations pour cette belle vitrine mise à la disposition des citoyens des diasporas.




Propos recueillis par Andy  Limontas pour la Chronique « Diasporama » de CANAL+HAITI: l’Agence Haïtienne de Nouvelles. Tous droits réservés

email (courriel): canalplushaiti@yahoo.fr / lautretv@ymail.com

Copyright@CANAL+HAITI, Septembre 2012

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