Lou
N.D.L.R.- Lou est femme, épouse, mère et artiste aux multiples talents. Quand elle ne transforme pas les visages avec son talent pour le maquillage, elle cuisine pour une première communion et à ses heures, elle prend sa plume. Elle a l’art de jouer avec les mots, de les agencer et d’inventer des histoires agréables, touchantes et palpitantes.
Ses mots, qu’elle tisse sur du papier deviennent textes et soudain une aventure est née. Quand on commence à la lire on ne s’arrête pas, elle vous tient en haleine jusqu’au bout. Une longue histoire d’amour entre une femme et ses idées, auxquelles elle donne vie sur du papier est née.
CANAL+HAITI & DIASPORAMA-HAITI, lancent la série de « Nouvelle* » intitulée: « Le Coin de Lou », qui retiendra votre attention du début à la fin de chaque capsule hebdomadaire. Ces récits sont les purs produits de l’imagination fertile de l’auteure. Sponsors à vos marques.
*Une nouvelle est un récit court. Apparu à la fin du Moyen Âge, ce genre littéraire était alors proche du roman et d’inspiration réaliste, se distinguant peu du conte. À partir du xixe siècle, les auteurs ont progressivement développé d’autres possibilités du genre, en s’appuyant sur la concentration de l’histoire pour renforcer l’effet de celle-ci sur le lecteur, par exemple par un dénouement surprenant. Les thèmes se sont également élargis : la Nouvelle est devenue une forme privilégiée de la littérature fantastique, policière, romantique, érotique et de science-fiction.
Les personnages et les situations de cet espace étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.
Lou |
Mes doigts se plient et se
replient sur eux-mêmes, ils se relient et se détachent sans arrêt. En
quelques heures, je sens avoir accumulé toutes les rides et la fatigue de 10
ans d’un cultivateur ravagé par le soleil et la terre. Difficile pour moi de
rester en place, debout mes pieds sillonnent sans arrêt la pièce et
assise mes fesses trouvent le coussin de la chaise brûlant. Je n’ai pas vu le
temps passer mais il me presse avec l’angoisse de trouver le chemin le plus
rapide pour implorer Dieu. Ce soir, je veux qu’il traite ma prière en
exclusivité, il doit tout de même comprendre qu’il y a urgence. Je veux
que tu restes avec nous!
Jojo, ce surnom si
affectueusement donné par tes proches, n’arrive pas à trouver de répit dans mes
pensées et les circonstances, qui le ramène cette fois sont critiques. Quand on
m’a appelé du bureau pour me dire que tu n’allais pas bien, j’ai parcouru en un
temps record le chemin pour arriver chez nous. Malgré tout c’était trop long,
trop long pour te voir encore vivant, pour te porter secours et peut- être trop
long pour te faire mes adieux. Je te revois presqu’évanoui sur le carrelage de
notre salle à manger. Je me suis sentie forte et faible. Bizarre, je ne pensais
pas possible d’être partagée aussi intensément et simultanément par des
sentiments contraires. J’étais forte parce qu’il fallait que je sois forte pour
toi, pour les enfants, j’étais faible parce que toutes mes prières et ma
positivité m’empêchaient d’imaginer une fin heureuse à l’instant présent.
Le personnel de l’hôpital
s’affaire à côté de ton lit. Ils sont plusieurs à ton chevet mais trop peu à
mes yeux. Vite, il faut te sauver la vie. Dans ma tourmente, je me
surprends à apprécier les petites buées de nuage que ta respiration
dessine dans l’inhalateur, les roulements de tes yeux sous tes pupilles
fermées. Je capte avec un tel engouement tes signes vitaux comme si je
n’ai jamais été témoin des prodiges de la vie si ce n’était à la naissance de
nos enfants.
Nos enfants, ce que nous avons
construit de plus beau, je pense à eux maintenant… Si tu ne reviens pas de
cette mauvaise passe, qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur raconter? Ces
êtres pour qui je ne saurais être mère et père. Je ne me vois pas prendre ta
place, tu es le seul à pouvoir jouer ton rôle. Reste, pour eux, je t’en prie ce
sera trop dur pour ses petits de vivre sans toi. Christèle croit être le centre
du monde dans ses tenues de princesses que tu lui rapporte de tes voyages.
Guy-Alain, notre fils s’enorgueillit de bonheur quand on lui dit qu’il te
ressemble, on dirait le pari d’une vie gagné.
J’enfile mes doigts dans les
tiens, la tiédeur de ta peau me donne espoir. Reste pour moi, oui moi, je
l’avoue du coup me sentir incomplète et impuissante sans toi. À cet instant,
tous nos coups de gueule, nos paroles amères, nos regards acerbes qui ont
envenimé notre relation ces derniers temps ne font plus le poids devant les
petits bonheurs que nous avons partagés. Je t’en prie, bats-toi avec la mort,
reste avec nous. Ma mémoire ressasse encore et encore tous ses bons moments que
j’avais oublié combien nombreux et chers ils étaient à mes yeux.
Je souris en te voyant rouvrir
les yeux et formuler quelques mots que je peine à comprendre. Des mots qui
m’ont éblouie comme une maman entendant son enfant parler pour la première
fois. Nous regardons à l’instant le plafond de la chambre, nous sommes tous
deux piégés dans cette salle froide, impersonnelle avec le néon pesant comme un
juge dans son tribunal. Toi et moi, en train d’être jugés, pour tout ce qui
s’est passé entre nous et que nous avions laissé nous ruiner. Nous reprenons
conscience du cadeau précieux et irremplaçable qu’est la vie et des bêtises que
nous avions commises. Nous nous sommes fait beaucoup de mal chacun en se
murant dans son statut de sexe fort pour éviter de se réconcilier avec
l’autre.
Tout parait si simple
maintenant. Je te presse la main en voyant le jeune médecin entrer pour faire
son diagnostic. Je me sens au comble de mon impuissance attendant les résultats
sur ton futur, le nôtre. L’espace se rapetisse, je suis devenue claustrophobe
dans la salle d’urgence de cet hôpital qui a failli nous fermer ces portes pour
manque de liquidité. S’ils avaient insisté sur cette voie, ils auraient su ce
dont est capable une femme en détresse. Tout est à l’envers dans ce pays, les
hôpitaux conçoivent même de refuser des malades, foutu sermon d’Hippocrate
tourné en ridicule. Heureusement, que le médecin de garde a été de notre côté
et nous a accompagné de tout son professionnalisme. Je suis soulagée par le
sourire timide qu’il affiche sur son visage, cela annonce de bons présages.
Quand il m’informe que le patient « Monsieur Joël Museau » est sorti de la
mauvaise passe et que nos réflexes t’ont sauvé la vie. Tu as échappé de peu à
un AVC. Je me sens traversée par un torrent de bonheur au point que mes membres
inférieurs semblent fléchir.
Ce fut lourd à supporter,
surtout seule sans nos familles pour nous soutenir. Je ne voulais personne pour
attiser mes craintes, j’ai préféré être seule à ton chevet pour le moment. Je
me penche et t’embrasse sur les lèvres avec une tendresse inouïe. J’entends de
loin les prochains suivis que le médecin indique que nous aurons à effectuer.
Tout parait si possible maintenant ! Je sors du tiroir de mes pensées les
projets que nous avons toujours voulu concrétiser ensemble. J’ai l’urgence de
maximiser le temps pour créer de nouveaux souvenirs avec toi. Je ne suis pas
dupe que nous ayons beaucoup à faire pour surmonter les problèmes de notre
couple. Cette expérience m’a donné la motivation nécessaire pour continuer à
m’allier à toi pour affronter nos démons. Je longe la main dans la main, le
couloir de cet hôpital, toi couché sur ce lit mobile que le membre du personnel
pousse pour te ramener à ta chambre de réveil. J’ai le sentiment que nous
sommes victorieux face à ce mauvais quart d’heure que nous venons de passer
ensemble. C’est décidé, je ne divorce plus !
Credit: Lou
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