jeudi 16 février 2017

Haïti/Mœurs/Société/Politique : Vulgarité, quand tu nous tiens…


Antoine Lyonel Trouillot

La vulgarité semble faire rire. Quelque chose d’odieux, de très laid, dans le spectacle d’un studio encombré « d’atoupre » comme des enfants ébahis devant le Père Noël pour écouter un ancien président de la République déblatérer contre des citoyens, en particulier deux confrères de ceux-là même qui l’ont invité. Une vilaine ambiance pour le moins : basses injures de l’invité, aucune pensée critique questionnant ses propos. Bienvenue aux invectives ponctuées de rires idiots. Encore plus étrange que le marchand d’invectives ait été salué en cette circonstance par des représentants des catégories constituant ses cibles préférées : des journalistes et des femmes. Moi, ce qui m’a le plus choqué dans cette émission, c’est « l’effet pétasse » de la participation féminine. Si se ka ki reprezante jennfi nan peyi a, yo mèt fèmen lekòl. Il y a quelque chose de plus qu’inquiétant dans ces gloussements applaudissant aux attaques contre Liliane Pierre-Paul. La vulgarité est une marque déposée – identité et produit commercial – de Michel Martelly. C’est son bien. Mais au-delà de la violence des injures, le pire a été sans doute l’extraordinaire débilité des demoiselles (une en particulier ennivrée par les « bons mots », de quoi revisiter les écrits théoriques sur les fonctions du rire) qui applaudissaient au bord de la pâmoison.

Dans son expression, la colère (légitime) ayant suivi l’événement mémorable a conduit à quelques excès. Prenons garde à ne pas transformer l’espace du débat sur la chose publique en un vaudeville ou un bestiaire. C’est à cela que quelques-uns nous invitent, et c’est là qu’il ne faut pas les suivre. Et c’est toujours injuste envers un animal de le comparer aux hommes. Car l’animal n’a pas le choix…

Mais n’est-ce pas la mode aujourd’hui que ce plongeon dans la bassesse et la vulgarité ! Les visages extasiés de tel ou tel et les gloussements hystériques de telle ou telle… Plus il en mettait, plus une partie de la petite assistance semblait au bord de la jouissance. Donnez-moi du sale, du vulgaire, crachez sur la vie privée d’un individu, riez de son physique, dites des âneries du genre « m pa kwè msye gen fanm », « figi fanm nan sesi… », faites des allégories allant dans le sens des organes et performances sexuels, et vous vous faites des fans. Cela fait déjà quelque temps que la vulgarité veut prendre toute la place, s’immiscer dans tous les espaces. Cela fait quelque temps et, tous, nous laissons faire.

Ceux qui disent qu’il suffit de donner du clairin ou de la danse version « gouyad » aux masses pour avoir la paix peuvent ajouter désormais la vulgarité à la liste des somnifères. Donnez-leur du vulgaire et vous faites des heureux (ses). Mais, justement, parmi les luttes à mener, celle contre cette dégradation du discours public. Et exposer les jeunes à autre chose. Peut-être n’a-t-on jamais exposé telle jeune fille à tel autre discours. Elle en est peut-être venue à croire que plus c’est avilissant, plus c’est beau.

Crédit : Antoine Lyonel Trouillot

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