Antoine Lyonel Trouillot |
La vulgarité semble faire rire. Quelque chose d’odieux, de
très laid, dans le spectacle d’un studio encombré « d’atoupre » comme des
enfants ébahis devant le Père Noël pour écouter un ancien président de la
République déblatérer contre des citoyens, en particulier deux confrères de
ceux-là même qui l’ont invité. Une vilaine ambiance pour le moins : basses
injures de l’invité, aucune pensée critique questionnant ses propos. Bienvenue
aux invectives ponctuées de rires idiots. Encore plus étrange que le marchand
d’invectives ait été salué en cette circonstance par des représentants des
catégories constituant ses cibles préférées : des journalistes et des femmes.
Moi, ce qui m’a le plus choqué dans cette émission, c’est « l’effet pétasse »
de la participation féminine. Si se ka ki reprezante jennfi nan peyi a, yo mèt
fèmen lekòl. Il y a quelque chose de plus qu’inquiétant dans ces gloussements
applaudissant aux attaques contre Liliane Pierre-Paul. La vulgarité est une
marque déposée – identité et produit commercial – de Michel Martelly. C’est son
bien. Mais au-delà de la violence des injures, le pire a été sans doute
l’extraordinaire débilité des demoiselles (une en particulier ennivrée par les
« bons mots », de quoi revisiter les écrits théoriques sur les fonctions du
rire) qui applaudissaient au bord de la pâmoison.
Dans son expression, la colère (légitime) ayant suivi
l’événement mémorable a conduit à quelques excès. Prenons garde à ne pas
transformer l’espace du débat sur la chose publique en un vaudeville ou un
bestiaire. C’est à cela que quelques-uns nous invitent, et c’est là qu’il ne
faut pas les suivre. Et c’est toujours injuste envers un animal de le comparer
aux hommes. Car l’animal n’a pas le choix…
Mais n’est-ce pas la mode aujourd’hui que ce plongeon dans
la bassesse et la vulgarité ! Les visages extasiés de tel ou tel et les
gloussements hystériques de telle ou telle… Plus il en mettait, plus une partie
de la petite assistance semblait au bord de la jouissance. Donnez-moi du sale,
du vulgaire, crachez sur la vie privée d’un individu, riez de son physique,
dites des âneries du genre « m pa kwè msye gen fanm », « figi fanm nan sesi… »,
faites des allégories allant dans le sens des organes et performances sexuels,
et vous vous faites des fans. Cela fait déjà quelque temps que la vulgarité
veut prendre toute la place, s’immiscer dans tous les espaces. Cela fait
quelque temps et, tous, nous laissons faire.
Ceux qui disent qu’il suffit de donner du clairin ou de la
danse version « gouyad » aux masses pour avoir la paix peuvent ajouter
désormais la vulgarité à la liste des somnifères. Donnez-leur du vulgaire et
vous faites des heureux (ses). Mais, justement, parmi les luttes à mener, celle
contre cette dégradation du discours public. Et exposer les jeunes à autre
chose. Peut-être n’a-t-on jamais exposé telle jeune fille à tel autre discours.
Elle en est peut-être venue à croire que plus c’est avilissant, plus c’est
beau.
Crédit : Antoine Lyonel Trouillot
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