Elle va venir. Elle va venir oui. La a se baz li !!! », me
dit le bouquiniste maître des lieux. « Elle va venir !!! », répète-t-il pour
calmer mon impatience.
Elle, c’est Gerthie David, la soixantaine, enveloppée par un épais
manteau d’oubli avant de revenir dans l’actualité parce qu’égalée,
quarante-deux ans après, à Miss Univers 2017, par une compatriote, Raquel
Pélissier, première dauphine dans ce concours vu par des millions de
téléspectateurs à travers le monde.
Sur des étagères, à l’entrée de cette impasse donnant sur la
rue Capois, à côté du restaurant Arc-en-ciel, presque en face du lycée du Cent
Cinquentenaire, des ouvrages sur l’économie, les mathématiques et la
littérature sont exposés dans un beau désordre. J'attends l'apparition de celle
que l'on m'a présentée comme la plus belle jeune fille de son époque.
Les narines emplies d’une odeur de graisse brûlée, je
regarde le bouquiniste campé entre deux clients qui n’achètent pas. Il hausse
un peu la voix à cause d’une méringue carnavalesque à la mélodie affreuse que
vrombit un speaker. On dirait qu'il cherche à conjurer une journée de vente
maigre qui s’étire.
Des minutes, en agonie lente, passent dans ce vieux quartier
de Port-au-Prince. Presque avant quatre heures, mardi 31 janvier, Gerthie
David, sac accroché à l’épaule gauche, bottes en cuir noires, veste abricot «
flashy », boucles d’oreilles en bambou, la tête serrée dans un improbable
turban, arrive, s'intalle et revient, erratique, avec quelques absences sur ses
trois semaines au concours Miss Univers 1975 à San Salvador.
« C’était magnifique », raconte-t-elle, sans donner de
détails sur les multiples représentations, les défilés, les réponses aux
questions dans un jaugeage quasi permanent des postulantes. Ne pas donner de
détails semble être par moments l’expression de la volonté de ranger dans un
coin de sa tête les souvenirs du faste, des lumières, des pailletes. Elle sait
cependant que les images sont sur Youtube. Ces images des moments forts, quand
en bikini puis en robe de soirée blanche elle conseille à celle qui lui
succédera en 1976 d’avoir « de la personnalité », « d’avoir de la présence sur
scène » et de la gentillesse envers ses compétitrices.
Première parmi les 12 semi-finalistes, Gerthie David, grands
yeux, lèvres pulpeuses, est restée au milieu de la scène alors que Miss
Philippine, Miss Suède, Miss USA voyaient s’effondrer le rêve d’atteindre la
finale, le mano à mano. La « first runner », explique l’animateur du show, a la
responsabilité de s’acquitter de toutes les obligations de Miss Univers en cas
d’indisponibilité. Gerthie David, Miss Haïti et la Miss Finlande hochent la
tête, comprennent les enjeux. Pour Gerthie David, la couronne file. Elle semble
avoir le cœur léger au moment de s’éclipser pour laisser toute la lumière à Miss
Finlande, Anne Marie Pohtamo, 19 ans, sacrée Miss Univers.
L’expérience reste inoubliable pour elle. Danseuse Étoile,
boursière de Harkens House of Dance, ancienne de la troupe de l’Américaine
Lavinia Williams, amie de la célèbre ethnologue et chorégraphe Catherine
Dunham, Gerthie David évoque le choix de la Miss Haïti 1975. Il n’y avait pas
de concours. Mais dans le Tout Port-au-Prince du spectacle, un consensus a été
trouvé autour de Gerthie David et Joelle Apollon.
« J’avais proposé que ce soit Joelle et Joelle avait proposé
que ce soit moi. Au final, elle a représenté Haïti dans un concours en Europe
et moi à San Salvador, au Salvador, en Amérique latine », poursuit-elle,
soulignant, avec une pointe d’humour, qu’elle a été « choisie par des grands électeurs
».
L’ancienne de l’école nationale de la République du Chili,
du Centre d’études secondaires, s’exprimait bien en anglais en plus d’être
danseuse et mannequin. Des atouts clés. Employée de l'ancêtre de nos compagnies
de téléphonie mobile d'aujourd'hui, Gerthie David, née un 2 novembre, jour des
« gede», après l’expérience Miss Univers, suit des cours en psychologie qu’elle
ne boucle pas à la Faculté des sciences humaines. Sa vie qui commence est
ailleurs, aux États-Unis. Elle entre au Harrington Institute of Architecture
and Design Technician. Gerthie David devient architecte de design intérieur.
« J’ai résidé et travaillé aux USA pendant près de trente
ans. J’étais à Chicago », indique Gerthie David qui n’a pas eu d’enfant. Grand
cœur, généreuse, Gerthie David évoque les multiples opportunités qui s’ouvrent
à Raquel Pélissier. « Je lui souhaite du succès. Il faut qu’elle garde la tête
froide pour réussir sa vie par rapport aux objectifs qu’elle se fixe. Elle n’a
pas de limite », conseille Gerthie David.
À l’heure du bilan, l’ex- Miss Haïti 1975, zen pour
certains, toquée pour d’autres, vit sa vie en toute simplicité, en dépit des
difficultés. « Un rien me rend heureuse », confie dans un large sourire cette
ambassadrice d’Haïti sur laquelle reflète un peu de la lumière braquée sur
Raquel Pélissier, sur l’histoire du pays avec Miss Univers.
« Gerthie, cousine de mon ex-mari, est une femme brillante.
Elle est la meilleure d’entre nous », dit Margareth Rigaud, cheville ouvrière
de la Fondation Aquin Solidarité et propriétaire de Presse Café, à
Pétion-Ville.
« Elle a besoin d’aide », lâche, off the record et sans
rentrer dans les détails, quelqu’un d'autre qui l’a connue, qui l’a aimée et
considérée comme un modèle.
« Je voudrais qu’elle soit là, à l’aéroport quand Raquel
rentrera au pays. Elles ont en commun Haïti et leur performance à Miss Univers
», indique Magalie Pélissier, auteure et mère de Raquel Pélissier.
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