lundi 8 juin 2015

Haiti/Brésil/S.O.S.: La crise humanitaire des Haïtiens de São Paulo.

Ici, des Haïtiens à l’Acre avant d’être transférés à São Paulo – crédit photo: Luciano Pontes / Secom | wikimedia commons
Chers lecteurs, je reviens enfin de mon court séjour dans la capitale économique du Brésil, São Paulo, où j’avais des démarches personnelles à mener. J’en ai profité pour porter un nouveau regard sur ce Brésil et essayer de comprendre ce pays du point de vue « des gens du Sud ». Lors de mes passages au centre de São Paulo ou sur l’Avenida Paulista, deux points incontournables de l’immense métropole, je n’ai pu m’empêcher de constater l’extrême pauvreté dans laquelle vivent nos amis et frères Haïtiens. Si je dis « amis et frères », c’est que j’en connais personnellement beaucoup qui vivent à João Pessoa et j’en compte parmi mes amis. Ce sont les personnes les plus éduquées que j’ai rencontrées de ma vie.
Le gouvernement brésilien est connu pour son ouverture et son grand sens d’humanisme. Dans un effort humanitaire et de partage, le Brésil a décidé d’accorder un visa de permanence à tout Haïtien se trouvant sur son sol. Peu importe le niveau scolaire ou social, tous les Haïtiens peuvent désormais être résidents permanents au Brésil. Combien de gens payeraient cher pour ce privilège?
Mais, le Brésil est-il seulement préparé pour ça?
La conséquence d’une telle mesure de « solidarité panaméricaine » est que la frontière du Brésil dans l’Etat de l’Acre subit une forte affluence d’immigrants haïtiens illégaux à la recherche d’une vie meilleure. Qui pourrait les blâmer? N’est-ce pas dans Les Misérables que l’on lit cette phrase lourde de sens: « Mais monsieur le juge, des hommes qui ont  tout perdu, ça existe »?
Et, ils ont vraiment tout perdu en Haïti. Je me souviendrai toujours de ce que m’a dit un jour le vice-consul du Brésil en RD Congo : « Serge, tout homme a le droit de chercher une vie meilleure, même s’il doit le faire en étant un clandestin… » Il faut du courage pour dire ces mots à un jeune Congolais.
J’imagine donc ce qui anime ces Haïtiens qui viennent par milliers au Brésil, ils voudraient sûrement aller aux Etats-Unis, mais l’oncle Sam a fermé ses portes… Ils se contenteront donc du Brésil, faute de mieux. Mais, le problème c’est qu’ils sont loin de se douter que la vie à São Paulo n’est pas faite pour tout le monde. Un vieux dicton brésilien dit : « O Brasil não é para amadores »[Le Brésil n’est pas fait pour les amateurs]. Il faut une certaine pratique, une manière d’être typique,  um jogo de cintura comme ont dit ici.
Une coïncidence du calendrier a voulu que mon séjour à São Paulo tombe justement pendant la semaine où la mairie de São Paulo communique son refus de recevoir plus d’Haïtiens parce que n’ayant pas les structures nécessaires pour recevoir 1000 immigrés en quinze jours.
J’ai donc vu la détresse de ces hommes et ces femmes de tous âges. Un ami congolais me faisait remarquer qu’un Africain décide d’immigrer à un certain âge, disons jusqu’à ses trente ans parce qu’après, il est difficile de recommencer. « Mais un Haïtien vient au Brésil à cinquante ans, des vieilles dames et des vieux messieurs… » m’a-t-il dit.
Ben oui, puisqu’ils ont tout perdu. Mais, malgré tout, rien ne les prépare à ce qu’ils vont voir une fois arrivés au Brésil et particulièrement à São Paulo. Normalement, quand qu’ils sont transférés de l’Acre vers São Paulo, ils restent dans des pensionnats ou dans une paroisse qui les reçoit par centaines. « La cour de l’église est transformée en un salon de coiffure », disait un reportage de la chaîne de télévision Globo. Les filles étalent leurs vêtements sur les mûrs qui encerclent le bâtiment.
Un homme d’une cinquantaine d’années éclate en sanglots en se rendant compte que sa vie ne changera pas au Brésil. Il vient de voir comment vivent ceux qui sont arrivés avant lui.  La ville de São Paulo est devenue leur tombe. Parce que les Haïtiens de São Paulo ne vivent pas comme des êtres humains, ils ne vivent pas comme vous et moi… ce sont des zombies invisibles. Ils errent la journée sans objectifs précis dans le centre de la ville. Il y a une partie de São Paulo qui s’est transformée en un camp de réfugiés.
Mais alors, quand allons-nous appeler un chat un chat ? La situation des Haïtiens de São Paulo a atteint le stade d’une crise humanitaire. Et de mon humble avis, le Brésil n’est plus en mesure de s’en occuper. Il serait temps, à mon avis, d’impliquer les organismes internationaux compétents.
Ce n’est pas l’idée la plus récente de les envoyer à Curitiba, Florianópolis ou Porto Alegre qui changera radicalement les choses. La situation est grave. Très grave. A mon niveau, je ne peux qu’écrire sur ce que j’ai vu. J’espère que ce texte atteindra les personnes compétentes, celles qui sont capables de faire évoluer la situation, ne serait-ce qu’en informant les Haïtiens qui veulent venir au Brésil, attirés par une promesse de réussite. De toute façon même à Rio de Janeiro, ils dorment dans le métro…
Informons-le ! Qu’ils sachent dans quoi ils se mettent. Que ceux qui pourront aider le fassent chacun à son niveau.
Je répète ce que je sais des Haïtiens en général, même si on ne peut pas généraliser : ce sont les personnes les plus charmantes que j’ai rencontrées. Mais la vie ne les a jamais épargnés…
A São Paulo, la population regarde cette triste situation avec une certaine indifférence. Certains Brésiliens commencent à manifester leur ras-le-bol.

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Crédit: Serge Katembera



NDLR.- Serge Katembera est congolais, diplômé en journalisme. Actuellement étudiant et chercheur, niveau Master Sociologie des Nouveaux Médias à l'Université Fédérale de Paraíba au Brésil.

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