Pour parler
très honnêtement, je méprise toujours souverainement certains extraits de video
que, comme tout un chacun, je reçois sur WhatsApp. Ce matin, fort heureusement,
j'ai ouvert celui que m'a envoyé Evelyne Ancion, mon amie et ancienne camarade
à l'INAGHEI. Il s'agit d'un extrait de huit minutes d'une présentation en
public du guitariste et musicien André " Dadou" Pasquet. Quel génial
musicien, instrumentiste et artiste ce Dadou Pasquet!
L'homme est
d'un naturel contagieux. On peut facilement lire son âme sur son visage
quand il chante. Ses doigts sur la guitare font voir clairement ses tripes. On
sent qu'il a quelque chose qui bout en lui, en son âme, en son être tout entier.
On sent la sincérité, la sensibilité et l'audace chez Dadou. Franchement osé
pour avoir poussé son art, son talent à un niveau si élevé!
Dadou carrément
- chose qui m'arrive très rarement - m'a ôté de ce temps pour me faire vivre un
que je n'ai vécu qu'à travers les leçons que j'ai apprises d'aînés tels que
Félix Guignard, Edner Guignard, Emerante de Pradines, Michel Pressoir et de
devanciers tels que Paul Choisil, Raymond Marcel et d'autres. Je parle du temps
où nos artistes jouaient de la bonne musique haïtienne. Donc, des années 1940
et 1950 dont, selon moi, l'Honorable Dumarsais Estimé, digne héritier des idées
du Dr Jean Price Mars, a été le fer de lance, le galvaniseur. Je parle, donc,
de " La Belle Epoque", merveilleusement animée par le Jazz des
Jeunes, formation guidée par le génial orchestrateur Antalcidas Oréus Murat et
bénie vocalement par le grand Gérard Dupervil, la Troupe Folklorique Nationale,
le Chœur Déjean, le Chœur Simidor, la Troupe Bacoulou, Lumane Casimir, Lina
Mathon-Blachet, Michel Desgrottes, Guy Durosier, Rodolphe " Dòdòf"
Legros et tant d'autres.
Ah! Dòdòf
Legros! Parlant du lion, on voit sa queue. Dadou Pasquet est justement la queue
de Dòdòf Legros, frère de la mère du fondateur du Magnum Band. En un mot,
" joumou pa donnen kalbas". Dadou a sans aucun doute reçu ce don des
génies de la race qui avaient jadis inspiré et guidé nos artistes en général,
nos peintres, nos danseurs et nos musiciens en particulier.
En regardant -
pardon, en admirant- Dadou Pasquet, on voit émaner un halo créé, on dirait, par
le souffle sacré de nos ancêtres. Ses doigts pinçant avec dextérité les cordes
de sa guitare, s'apparentent à ceux qui avaient magiquement guidé la
plume de Jacques Stéphen Alexis ou/et celle de Jacques Roumain ou à ceux qui avaient
servi de témoin à l'inspiration de Carl Brouard ou de Léon Laleau.
À mon goût,
Dadou Pasquet, toutes générations confondues, appartient à la galerie des
gloires musicales de notre terre bénie par le sang des héros de Vertières, en
particulier celui de l'Immortel Empereur, le grand Jean-Jacques Dessalines. Et
dans la génération de Dadou, se trouvent - encore selon mon goût que je
n'impose évidemment à personne - d'autres excellents musiciens tels que André
Déjean, Adrien Jeannite, Raymond Cajuste et d'autres.
Et quelle belle
musique! Mes convictions culturelles et les pages de l'histoire d'Haiti que
j'ai lues ne me permettent pas d'être un " ayatollah" du compas
direct. Prisonnier de mon éducation, je considère le compas direct, rythme
merveilleux, comme un genre de danse urbaine, fait pour amuser le peuple. Et en
ce sens, le compas direct, au cours de ces six dernières décennies a aidé le
peuple haitien à bien traverser tant de fleuves tumultueux. Le compas direct,
créé entre 1958 et 1959 n'est pas " la musique haïtienne". Si on
l'appelle " la musique haïtienne " est comme s'il était le seul et
unique genre de musique que possède Haiti. Ce qui est loin d'être vrai. Le
compas direct et sa sœur cadence ranmpa, font partie, selon moi, des 600 genres
de musique que possède Haiti. J'ai toujours considéré comme " musique
haïtienne " tous les genres du folklore haïtien, ceux qui, pour reprendre
ces mots du morceau " Anciens Jeunes" du Jazz des Jeunes, "
aidèrent nos Aïeux à Vertières et à la Crête-à-Pierrot". Je ne me conçois
pas sans mes pétro, ibo, yanvalou, congo, dyouba et les autres genres que nous
ont légués les " nègres bossales", les " nègres créoles",
les " nègres marron". Je parle, donc, des genres biséculaires, voire
multiséculaires d'Haïti. Donc, des genres authentiques.
Dadou, comme un
vrai héritier de Dòdòf Legros, ce nègre marron, cet Haitien sans mélange, m'a
donné l'air de ces musiciens authentiques qui avaient merveilleusement troublé
mon sommeil un soir de février 1976 aux Gonaïves. Je parle des musiciens de
" La Branche Aimable Geffrard" (Aimable) et de Sainte Rose, " la
reine des roses". Ces musiciens " lakay" qui amusaient le peuple
avec goût. Dadou, à travers cette pièce et à travers une centaine d'autres, a
fait justice au " compas" pour l'avoir joué avec soin, un soin
contagieux. On voit se dégager une flamme de ses yeux, comme possédé par les
anciens " anges" que Dòdòf Legros avaient jadis visité Dòdòf Legros,
qui, lui, les avait passés sans chichi à Guy Durosier, l'un des plus grands
musiciens haitiens de tous les temps. Dadou m'a fait jouir de la douceur du
compas direct, qui pourrait être encore plus merveilleux s'il était joué par
des musiciens et non par des " joueurs de musique" ou par de
vulgaires " entertainers". C'est que Dadou Pasquet, lui, est un
musicien. Mieux encore, il est un musicien haitien et non un Haitien musicien.
Je peux en dire autant des André Déjean, Raymond Cajuste, Adrien Jeannite,
Jean-Jean Pierre, Yves Arsène Appolon, Gérard Daniel, Loubert Chancy et de rares
autres de sa génération, la génération du beau, de l'innocence. De cette
génération qui aurait accompli de plus grandes merveilles si les musiciens qui
y appartenant n'avaient pas constamment à se mettre à l'abri d'un mauvais temps
qui avait trop duré et qui, de ce fait, avait nettement paralysé l'élan de nos
artistes.
Franchement,
elle est superbe cette génération qui nous a donné des joyaux comme le Bossa
Combo, les Skah Shah, les Frères Déjean, le Magnum Band (mes préférés), sans
oublier, avant eux, Les Ambassadeurs, Les Fantaisistes de Carrefour, les Shleu
Shleu, etc.
Et ce serait un
impair grave que de rester muet face à la bonne tenue des fêtards. C'est ainsi
qu'un peuple s'amuse: en dansant d'une manière décente. C'est ainsi que s'amuse
le peuple haitien.
Oui, ce Dadou
Pasquet est une gloire musicale haitienne.
Merci Evelyne
d'avoir partagé ce délice avec moi, comme jadis tu partageais avec moi les
notes des professeurs Roger Petit-Frère, de Gérard Gourgue quand, en nègre
marron, je devais m'absenter de certains cours à l'INAGHEI pour me mettre à
l'abri de la furie des fins limiers du régime.
Merci Dadou
Pasquet... Que vive toujours ton Magnum Band, mon orchestre préféré de ta
génération à côté du Bossa Combo, des Skak Shah et des Frères Déjean de
Pétionville.
Crédit: Louis
Carl Saint Jean
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